Qu'il s'agisse de la retraite, de la santé ou de la fonction publique, les réactions indignées des Français à l'action du gouvernement sont motivées et légitimes : car ces réformes vont au cœur des familles, elles atteignent de plein fouet la vie des gens et les contraignent à regarder l'avenir sous l'angle de l'effort plutôt qu'avec euphorie.
Mais, d'une part, nous ne sommes pas les seuls à devoir changer partiellement notre mode de vie, et en vérité, nous n'en garderons l'essentiel que si nous consentons à faire quelques sacrifices ; et, d'autre part, quand les enseignants se plaignent, quand les assurés grognent, quand les syndicats protègent inlassablement les droits acquis, ils ne voient pas les diversités de la condition humaine ni combien nous sommes heureux par rapport à des milliards d'humains qui n'ont pas le centième de ce que nous avons.
Enfants gâtés
Nous ne sommes pas, ou plus, des enfants gâtés. Nous n'avons pas le droit de nous bercer d'illusions. Nous formons une de ces nombreuses sociétés postindustrielles où l'espérance de vie a augmenté considérablement, où le travail se fait plus rare, et où la tendance à dépenser plus que ce qu'on gagne deviendra criminelle si elle se maintient. Elle aboutira, à n'en pas douter, à la destruction de ces fameux acquis sociaux que nous croyons protéger en criant dans la rue.
Les comptes ne sont pas ronds. D'autres gouvernements ont lutté contre le chômage en gonflant artificiellement le nombre de fonctionnaires ; ce sont des emplois payés par la solidarité nationale et qui puisent leur financement dans la richesse collective. La retraite à 60 ans est incompatible avec une longévité moyenne de 75-80 ans. Les déficits publics ne sont pas des notions théoriques : certes, aucun citoyen n'en ressent les effets, mais dans la réalité communautaire, ils existent tout autant que le déficit d'un foyer qui dépenserait plus qu'il ne gagne et devrait réduire son niveau de vie pour rembourser ses dettes. L'argent répond parfaitement à la définition de la chimie par Lavoisier : rien ne se crée, rien ne se perd. Une perte doit être compensée par un gain. La dette ne peut exister que parce qu'elle sera inéluctablement remboursée. Elle pèse sur nous ou sur les générations à venir. Elle ne disparaîtra pas d'elle-même.
Or le gouvernement ne peut pas créer des emplois utiles, qui enrichissent à la fois l'employé et la collectivité, s'il n'a pas d'abord assaini les comptes ; il ne peut pas payer les retraités avec de l'argent qui n'a pas été mis de côté au préalable ; il ne peut pas rembourser toutes les dépenses de santé si les cotisations sont insuffisantes.
Les syndicats disent parfois qu'ils préféreraient une hausse des cotisations. Mais déjà, sur un euro produit par la France, 44 centimes d'euro vont aux dépenses publiques. Il faudrait augmenter les cotisations retraite mais aussi la CSG, et de telle manière que le citoyen consommerait moins et contribuerait de la sorte au chômage. On peut donc imaginer un avenir où 80 % de travailleurs salariés cotiseraient pour 20 % d'assistés. Et dans cinquante ans, on ne travaillerait que pour assister ceux qui ne travailleraient pas. C'est à cette dérive que le gouvernement veut mettre un terme, étant entendu que, pour rééquilibrer les comptes, il faut non seulement limiter les dépenses de l'Etat mais revenir au plein emploi pour répartir les prélèvements obligatoires sur le plus grand nombre de personnes.
Il est vrai qu'on ne réforme pas sans commettre des injustices : on demande aux jeunes d'étudier plus longtemps pour obtenir un emploi digne de ce nom. A bac plus six, par exemple, ils n'accèdent au monde du travail qu'à 24 ou 25 ans, pour autant qu'ils n'ont pas redoublé une fois, pour autant qu'ils trouvent un emploi. S'ils doivent travailler 41 ou 42 ans, ils ne prendront pas leur retraite avant 67 ans.
A contrario, un mécanicien qui peut commencer à travailler à 18 ans imagine mal qu'il puisse accomplir pendant 42 ans une tâche aussi pénible. Les enseignants eux-mêmes font un métier, difficile, souvent épuisant, parfois même dangereux. Etre instituteur à 66 ans semble absurde.
Mais attention. Le message que contient la réforme est que chaque concitoyen ne peut plus compter uniquement sur l'Etat et que son destin lui appartient. Pour peu que la caissière prenne en main ses propres affaires, elle peut se former à un autre emploi ou monter en grade dans la hiérarchie du supermarché ; l'instituteur peut devenir directeur d'école et l'ouvrier imprimeur créer sa PME.
Le prétexte égalitaire
Notre idée de l'Etat providence nivelle nos différences sous le prétexte égalitaire. Mais il y a des gens plus entreprenants que d'autres ; des élèves plus doués que d'autres ; des cancres qui font fureur dans la vie professionnelle ; des intellectuels moisis dans la théorie ; des médecins de campagne et des chercheurs médicaux (il nous faut les deux) ; de bons et de mauvais chefs d'entreprise. L'Etat ne distingue pas entre les uns et les autres. Il appartient à chacun d'entre nous de nous adapter aux circonstances, donc à des réformes sociales.
Soyons assurés en tout cas que si nous ne faisons rien pour réduire le rôle de l'Etat, si nous n'acceptons aucune concession sur les acquis de l'après-guerre, nous retournerons encore plus sûrement à la situation antérieure. C'est-à-dire que nous finirons par prendre la responsabilité entière de ce qui nous arrive et que le filet social aura disparu.
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