Hors du groupe point de salut ? Entre 1998 et 2009, la part des médecins généralistes libéraux déclarant travailler en groupe est en effet passée de 43 % à 54 %, toutes tranches d’âges confondues. Un phénomène de regroupement qui concerne tout le monde, puisque même les généralistes de 50 ans et plus n’y font pas exception. 44,9 % de ces derniers déclaraient en effet exercer en groupe l’an dernier, contre 20 % en 1998. Pour autant, les jeunes médecins sont les moteurs de cette dynamique. Alors qu’il y a encore dix ans ils étaient hésitants près de huit sur dix des moins de quarante ans fait aujourd’hui le choix du groupe. Tels sont les enseignements que révélait une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) publiée le mois dernier.
« Ce phénomène n’est pas uniquement lié à la féminisation de la profession, mais s’apparente à un véritable changement de fond de la conception de l’exercice », insiste le directeur de l’Irdes, Yann Bourgueil, coauteur de l’étude, battant ainsi en brèche l’idée reçue selon laquelle les femmes médecins seraient seules responsables de cette tendance à l’exercice regroupé. « C’est une évolution sociétale, renchérit aussi le président du syndicat des internes de médecine générale, Stéphane Munck. L’exercice en groupe ou la meilleure façon de parvenir à concilier une qualité de vie personnelle et la continuité des soins due aux patients ? « Que ce soit au sein de murs partagés, ou en pôles de santé, le groupe favorise un exercice en coopération avec d’autres généralistes ou d’autres professionnels de santé, ce dont les jeunes généralistes sont demandeurs », poursuit le président de l’Isnar. Et offre aussi la possibilité de mutualiser les moyens, le secrétariat médical partagé n’étant pas le dernier des avantages de la formule.
« L’aspect financier n’est pas étranger à cette volonté de regroupement. Le coût d’une installation en solo, dans les grandes villes en tout cas, est parfois prohibitif », analyse quant à lui le président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG). Le Dr Alexandre Husson tempère d’ailleurs au passage l’importance de certains des enseignements de l’étude de l’Irdes. « Si sur, le terrain, l’engouement existe pour l’exercice en groupe chez les jeunes, je reste dubitatif quant au nombre d’installations réelles qu’il génère chez les moins de quarante ans, l’une des populations cibles de l’enquête. Il ne fait pas oublier que l’âge moyen (39 ans) d’installation d’un généraliste reste tardif ».
Pourtant le cabinet de groupe semble bel et bien avoir un « effet accélérateur ». « Seul, je ne l’aurais pas tenté », témoigne le Dr Francis-Charles Cuisgnez, 32 ans, qui a intégré l’année dernière un gros cabinet pluridisciplinaire de l’ouest parisien. Pour le président de la Csmf-jeunes, cette tendance au regroupement va désormais dans le sens de l’histoire. « Les jeunes médecins le demandent, les patients, qui se sentent mieux suivis, aussi ». Pour autant, le Dr Cuisignez ne verse pas dans l’angélisme. « Pour le moment, je parviens à conserver une demi-journée par semaine pour mes activités persos. Mais il faut savoir qu’une grosse structure de 40 professionnels de santé libéraux, où donc chacun à son mot à dire, demande un travail de gestion, assez monstrueux. Sans compter que les charges d’un cabinet de groupe de dimension importante reviennent plus cher, selon les endroits, qu’une installation en solo. Bref, en ville, le coût du foncier décourage les installations en solitaire, alors qu’à la campagne, où les murs ne sont pas chers, il faut raisonner en termes de bassin de vie pour être sûr d’avoir un nombre de patients suffisants », résume le jeune praticien.
À l’arrivée, ce n’est donc sans doute pas un hasard si, alors que la jeune génération se déclare largement en faveur d’un exercice décliné sur le mode pluridisciplinaire, les résultats de l’étude de l’Irdes révèlent que dans les faits, en 2009, « les trois quarts des médecins en groupe exercent dans des cabinets médicaux de deux ou 3 médecins » seulement… Ce ne devrait pas être le cas a priori de Sophie Augros. La jeune interne grenobloise de 26 ans a déjà une idée bien arrêtée de ce qu’elle veut faire d’ici trois à cinq ans. « Je souhaite monter une maison de santé. L’idée m’est venue après mon stage chez le praticien dans un cabinet de groupe. Cela m’a plu, mais les médecins ne mettaient pas leurs dossiers en commun. Moi le travail en équipe me plaît ». Avec quatre autres internes, « pour l’instant », dont une en psychiatrie, Sophie se donne donc, « cinq ans », pour trouver le lieu d’implantation de sa structure, « en Savoie ou en Haute-Savoie », les financements et voir son projet aboutir. « Je passerai en attendant par la case remplaçant pour gagner ma vie. Mais pas plus de trois ans j’espère. Ce n’est pas mon idéal d’exercice, j’ai choisi médecine générale parce que je veux pouvoir suivre mes patients ».
Le remplacement comme le meilleur moyen de trouver le cabinet de ses rêves ? « Oui et non », tempèrent à l’unisson les présidents de l’Isnar et de Reagjir-Lorraine. « Beaucoup de jeunes généralistes effectuent des remplacements pour apprendre leur métier et se perfectionner, parce qu’il y a un déficit en matière de formation initiale. Il ne faut pas relâcher la pression sur le développement des stages de médecine générale chez le praticien. Ce qui n’empêche pas que la formule du remplacement permette aussi de découvrir et d’apprécier des palettes d’exercice différentes », développe Stéphane Munck. « L’idée n’est pas d’organiser une filière organisée du remplacement comme passage obligé avant l’installation, mais nous répondons, en effet à une demande chez les jeunes médecins », analyse le Dr Alain Charissou, trente et un ans. La preuve, en à peine deux ans d’existence, son association pour le Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants rayonne aujourd’hui dans quatorze régions.
Dans le cœur du marais poitevin, il est un petit village de 700 habitants qui se félicite de cette tendance au regroupement chez les jeunes. Car l’équipe de trois généralistes et le dentiste qui exercent ensemble ont un projet : celui d’un pôle de santé pluridisciplinaire, qui « pourrait voir le jour dans les trois ans et qui répondrait aux besoins d’un bassin de vie de quelque 13 000 personnes », explique la nouvelle recrue du cabinet de groupe, le Dr Yannick Truelle. Enfin nouvelle… « J’ai intégré la structure en 2006, à vingt-six ans, comme collaborateur libéral, à raison de deux jours par semaine. J’avais auparavant, comme tous mes confrères débutants, tourné comme remplaçant, mais jamais au sein de ce cabinet-ci. Et puis je suis resté, le partage des dossiers, l’organisation du travail, c’est une véritable coopération interprofessionnelle que nous essayons de développer encore davantage » Et si le groupe était la bonne réponse pour séduire ceux (toujours plus nombreux, dit-on) qui repoussent le moment de l’installation ?
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