Bien que focalisé aujourd’hui sur le quantitatif par territoires, le problème de la démographie médicale, c’est d’abord sur l’ensemble du territoire celui du « temps médecin disponible » pour sa mission de soins.
Ce temps disponible est déficient. C’est le résultat de plusieurs facteurs. D’abord, le temps administratif du soin devenu délirant, la prétendue simplification administrative étant dans les faits d’abord un allégement des administrations en externalisant leur travail sur le soignant et le chef d’entreprise. En réponse à cela, aucun moyen dégagé pour soulager le soignant alors que c’est cette délégation de tâche qui devrait être prioritaire.
De plus, en ambulatoire, les délégations de tâche c’est souvent pour le généraliste : des papiers à remplir, à enregistrer et une déstabilisation du contenu et organisation de sa mission de soins. Par ailleurs, la complexité croissante de la médecine, des demandes mais aussi une complexification artificielle pas toujours justifiée des actes exigent plus de temps qu’il y a 50 ans où l’on calculait la tarification de l’acte sur la base d’une activité estimée normale à 6 consultations/heure.
Il reste l’évolution sociétale du temps de travail qui n’accepte plus les cadences d’autrefois et qu’il est de bon ton d’attribuer à la féminisation et au jeunisme des médecins mais il y aurait beaucoup à dire sur ces affirmations péremptoires.
Enfin il y a la diminution quantitative des médecins notamment généralistes qui s’installent peu en ambulatoire – zones désertifiées ou pas, MSP ou pas.
Et puis il y a des facteurs gaspillant le temps médecin qu’il semble souhaitable d’ignorer au niveau des institutions. Parmi ceux-ci il y a le problème des rendez-vous pris par les patients mais non honorés ensuite. Une enquête de l'URPS Franche-Comté en 2013 concluait que pour les médecins libéraux, 6 % des rendez-vous n’étaient pas honorés par les patients, soit en moyenne 1h55 par semaine et par médecin de « temps médecin perdu ». En 2015, une enquête de l'URPS Ile-de-France concluait à la perte moyenne de 40 minutes par jour et par médecin. À l’échelon national, cela équivaut à 28 millions de rendez-vous par an, soit le temps de travail de 8 000 médecins. (« le Quotidien » du 25 novembre 2016). S'il y avait respect des rendez-vous par les patients, cela serait comme si on doublait le numerus clausus.
On pourrait penser qu’il y a là une urgence pour les institutions sociales et politiques à assumer leur responsabilité dans l’éducation de l’assuré social et du citoyen au bon usage du système de santé. Mais autant elles sont promptes à « faire de la médecine » en termes d’éducation thérapeutique et à informer sur la « bonne » médecine, autant leur investissement lorsqu’il s’agit d’agir sur les comportements d’utilisation du système de soins par les assurés sociaux semble timoré et volontiers mis à tort à la charge du corps médical et du dialogue singulier médecin-patient.
Il en est ainsi pour l’usage des urgences, de l’hôpital, des certificats médicaux, du respect de l’organisation du travail des soignants. Faire prendre conscience à la population de ce gaspillage de temps médecin est de la responsabilité de la protection sociale et du gouvernement. Ce comportement a un coût économique pour le soignant et la collectivité, mais aussi des conséquences sur les délais de rendez-vous, l’accessibilité, l’ambiance et qualité des soins et de la relation médecin-patient.
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