UNE PLAIE si particulière : la plaie thoracique qui figure sur le linceul de Turin ainsi que sur des icônes et des tableaux anciens présente quatre caractéristiques originales, que le Pr Olivier Pourrat va détailler ce soir, dans le cadre du colloque organisé par le Cielt (Centre international d'études sur le linceul de Turin), à Paris* : elle est localisée au niveau de la face antéro-externe du thorax et non pas sur la face antérieure ; ses dimensions sont importantes, avec une largeur de la plaie qui atteint 44 mm ; elle est positionnée très haut, presque sous l'aisselle. Enfin, elle est du côté droit, et non pas du côté du cœur. Toutes ces caractéristiques concordent : « Elle sont parfaitement conformes à l'anatomie du thorax, observe le Pr Pourrat. Elles dessinent l'image d'une plaie authentique sur un corps mort. »
Le spécialiste de Poitiers s'est livré à des recherches historiques sur le supplice de la crucifixion. Il a vérifié que les crucifiés subissaient généralement le crurifragium (fracture des cuisses) pour hâter la survenue de la mort. Mais la plaie thoracique, note-t-il, n'est rapportée que de manière exceptionnelle. Apparemment, outre l'homme du LDT, seuls les saints Marc et Marcellin auraient été achevés de la sorte. Et encore, il faut souligner que dans les documents historiques le côté sur lequel était porté le coup au thorax n'est jamais précisé. Dans le cas de la Passion du Christ, l'auteur de l'Evangile de Jean, seul à faire état de la plaie, écrit : « Quand les soldats arrivèrent à Jésus, comme ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats lui transperça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau » (Jn 19,33-34).
L'authenticité anatomique de la plaie thoracique étant bien prouvée, le Pr Pourrat pose la question qui le taraude : « Comment dans l'Antiquité pouvait-on penser qu'une plaie mortelle du cœur devait être portée à droite et non pas à gauche, puisque déjà à cette époque il était parfaitement connu que le cœur est situé avant tout du côté gauche. Tout le monde, souligne l'interniste , depuis l'origine des temps, a fait l'expérience personnelle de mettre la main sur sa poitrine et de constater que les battements du cœur sont perçus du côté gauche. Les auteurs anciens d'anatomie l'avaient clairement écrit : Hippocrate, plusieurs siècles avant le Christ notait que le ventricule droit ne connaît pas le feu inné, le ventricule gauche est le seul à le contenir ; Pline ajoutait que "le cœur est placé au-dessus du mamelon gauche" et Galien précisait : "On meurt seulement si la blessure pénètre dans l'une des cavités, surtout quand c'est la cavité gauche". »
En fait, pour élucider ce mystère du coup frappé à droite, le Pr Pourrat préconise de se mettre dans la situation d'un soldat romain qui servait vers l'an 30 sur le Golgotha ; s'il visait à droite, c'est que ce côté, sous l'Antiquité, n'était pas protégé par le bouclier que portait le bras gauche. C'était le latus apertum, le côté ouvert, comme cela figure notamment dans les œuvres de César.
L'iconographie concorde.
Cela dit, ce choix de frapper à droite ne se justifie plus guère dès lors que la cible est un crucifié aux bras ouverts et cloués, de surcroît mort, à en croire l'Évangile et à bien analyser le suaire : si le coup de lance avait été porté sur un supplicié en vie, la plaie aurait été un tant soit peu refermée.
L'affaire semble quoi qu'il en soit d'autant plus énigmatique qu'en l'absence de toute trace écrite l'iconographie correspond exactement au linceul : le Pr Pourrat n'a pas ménagé sa peine, il a recherché toutes les images de crucifié antérieures à 1200, soit un total de 55 représentations ; d'après cinquante-deux d'entre elles, la plaie était externe, d'après quarante-sept elle était également large, d'après quarante-cinq elle était située en haut... Et, dans cinquante et un, elle était située du côté droit.
Changement de côté au XVIe siècle.
« En fait, c'est en me penchant sur les représentations faites à partir du XVIe siècle, explique-t-il au « Quotidien », que j'ai découvert un changement de côté : les artistes sacrés reproduisent alors la plaie du côté gauche, probablement en raison du développement de la spiritualité sur le sacré cœur de Jésus, alors qu'à leur époque les progrès effectués dans les connaissances anatomiques ont révélé l'importance des cavités cardiaques droites comme réservoir de sang, même après la mort. »
Que le linceul soit celui du Nazaréen Jésus ou celui d'un autre supplicié, ou encore qu'il s'agisse d'une copie fabriquée par un artiste (avec des moyens techniques qui échappent aujourd'hui encore à la communauté scientifique), en toute hypothèse, un postulat se dessine : il a fallu une icône originale qui montre une large plaie localisée dans la partie supérieure, externe et droite du thorax et il a fallu qu'elle soit d'un réalisme suffisamment impressionnant pour que, de manière quasiment systématique et scrupuleuse, toutes les œuvres figurent la plaie sur le côté droit. Somme toute, le même phénomène de reproduction à travers les âges s'applique pour cette blessure de la même manière que pour le visage du crucifié, tel qu'il traverse les âges dans l'histoire de la peinture.
« Si cette icône originale a bien existé, s'interroge le Pr Pourrat, le linceul est-il sa copie, ou bien les icônes anciennes ont-elles été réalisées à partir du linceul ? » Le professeur de médecine interne incline à penser que, « parce qu'il est dépourvu de la moindre caractéristique propre à une copie, c'est le linceul qui est l'image originale », vrai linceul d'un vrai crucifié mort. Evidemment, convient-il, « mon sentiment gagnerait à être étayé par la découverte d'un document antique des toutes premières années du millénaire qui décrirait une image thoracique à droite ».
Quant à la question de savoir pourquoi le légionnaire romain a frappé du côté droit, en l'état actuel des investigations, on ne saurait répondre qu'en invoquant l'effet du hasard : il n'existe pas d' explication scientifique qui justifie de manière pertinente la localisation paradoxale, à droite, de la plaie.
Palais de la Mutualité, 24, rue Saint-Victor, 75005 Paris, à 20 h 15, renseignements au Cielt : 01.45.48.67.15 et 06.84.26.71.07.
La radiodatation toujours controversée
Trois échantillons du long drap de 4,36 mètres sur 1,10 sur lequel est décalqué le corps d'un homme de 1,78 m, âgé d'une trentaine d'années, portant la barbe et ayant de longs cheveux, ont été confiés en 1988 à trois laboratoires (Oxford, Zurich, Tucson). Leurs expériences, menées au moyen de la radiodatation au carbone 14, conclurent que le lin du suaire avait été récolté entre 1260 et 1390.
Mais d'autres travaux menés depuis ont relancé le débat et suscité un nouveau doute scientifique. En particulier, des chercheurs de la faculté de médecine de Montpellier ont soumis une pièce de lin à un flux de protons qui a entraîné un roussissement semblable à celui du linceul. Ils ont ensuite procédé à un bombardement de neutrons ; la datation effectuée alors s'en est trouvée faussée de treize siècles.
Des contestations ont par ailleurs été émises sur le protocole des expériences d'Oxford, de Zurich et de Tucson.
Prudente, l'Eglise s'abstient de se prononcer sur l'authenticité du suaire, qu'elle présente cependant à la vénération des fidèles.
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