« La personne très âgée vivant chez elle ou en institution n'est pas exposée à une "insolation" , le coup de chaleur parfois gravissime qui survient l'été chez les vacanciers qui s'exposent imprudemment au soleil », explique au « Quotidien » le Dr Pierre Simon, néphrologue au centre hospitalier général de Saint-Brieuc. « Le sujet très âgé a la prudence de ne pas sortir en plein soleil pendant d'aussi fortes chaleurs. »
Les températures élevées sous abri sont à l'origine d'une sudation extrême, rappelle le spécialiste. « En climat modéré, on estime la perte d'eau journalière par transpiration à environ 800 ml. En situation de grande sudation, cette perte d'eau peut atteindre plusieurs litres. Il s'ensuit une déshydratation globale, touchant autant le secteur extracellulaire que le secteur cellulaire. » Le diagnostic peut être suspecté devant une perte de poids de 2 à 3 kg en quelques jours, la persistance d'un pli cutané étant le plus souvent ininterprétable à ces âges. « Une prise de sang montrerait les signes de l'hémoconcentration (hyperprotidémie, augmentation de l'hématocrite) et de l'augmentation de l'osmolarité (hypernatrémie > 145 meq/l). »
La vasodilatation induite par la chaleur extrême entraîne en outre une baisse de la pression artérielle. « Elle peut aller jusqu'au collapsus cardio-vasculaire si la déshydratation est sévère et si le patient conserve des traitements hypotenseurs et diurétiques », précise le Dr Simon.
Le rein tente de s'opposer
« Chez un sujet normal, poursuit-il, le rein tente de s'opposer à toute déshydratation en utilisant son pouvoir de concentration de l'urine. Chez le sujet très âgé, cette action protectrice du rein est fortement altérée. En effet, le rein du sujet très âgé est un organe touché par la maladie vasculaire (l'artériosclérose systémique qui au niveau du rein correspond à la néphroangiosclérose). Il existe ainsi des reins "ischémiques" , en situation d'insuffisance rénale chronique (près de 50 % des patients âgés de plus de 75 ans ont une clairance de la créatinine < 60 ml/mn), qui ont perdu leur pouvoir de concentration des urines. Ils ne peuvent donc plus empêcher la survenue d'une déshydratation. »
L'insuffisance rénale chronique de base s'aggrave lors de la survenue d'une déshydratation, cette insuffisance rénale « aiguë » pouvant devenir sévère si elle n'est pas immédiatement corrigée par une réhydratation efficace. « L'insuffisance rénale aiguë est une maladie silencieuse et seul un bilan biologique peut en évaluer la gravité, en montrant une hypobicarbonatémie qui traduit un état d'acidose métabolique, lequel peut rapidement se décompenser lorsqu'il est associé à une insuffisance respiratoire et atteindre alors un niveau mortel de pH sanguin (pH < 7,20). L'hyperkaliémie (> 6 meq/l), conséquence de l'acidose et de l'insuffisance rénale, mais également de la prise de certains médicaments cardio-vasculaires agissant sur le système rénine angiotensine (IEC, antagoniste des récepteurs de l'angiotensine II) peut tuer une personne âgée en quelques minutes. Il s'agit d'une mort subite. »
Les médicaments à visée cardio-vasculaire
La France se distingue par son niveau de consommation de médicaments. Les personnes âgées sont les plus concernées. Outre les diurétiques, les médicaments à visée cardio-vasculaire, tels que les IEC, les bêtabloqueurs, les inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine II peuvent entraîner un risque mortel lorsqu'il existe une déshydratation sévère. « Ainsi, explique le Dr Simon, les bêtabloqueurs ne permettent plus l'adaptation cardiaque à une hypovolémie (absence de tachycardie réflexe), les IEC et les inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine bloquent les effets vasoactifs du système rénine-angiotensine. Ces médicaments peuvent alors précipiter la personne déshydratée, quel que soit son âge, dans un état de collapsus cardio-vasculaire sévère. Il est vraisemblable qu'un certain nombre de décès survenus de façon subite au domicile ou dans les institutions soient dus à des collapsus cardio-vasculaires méconnus et des hyperkaliémies mortelles induites par ces médicaments. »
De plus, l'état cérébral de la personne très âgée ne lui permet plus de lutter contre un état de déshydratation. « Elle subit des états d'hyperosmolarité sans pouvoir les corriger par l'expression de la soif. Cette situation est d'autant plus patente en cas de démence. La personne âgée devient dans ces situations de déshydratation dépendante d'une aide extérieure. On comprend que la personne isolée dans son appartement n'ait pu bénéficier de cette aide à la réhydratation. »
« On peut également s'interroger sur le rôle néfaste de certains psychotropes ou somnifères dans la perte d'autonomie d'une personne âgée en situation de déshydratation, poursuit-il. La concentration sanguine de ces médicaments augmente et leur effet pharmacologique est prolongé par l'insuffisance rénale fonctionnelle, lorsque l'élimination est rénale. Ainsi, certaines personnes âgées ont dû prolonger leur alitement par des effets iatrogènes plus importants, qui n'ont fait que contribuer aux conséquences de la déshydratation. »
Le Dr Simon conclut en évoquant une origine probablement multifactorielle aux décès enregistrés en France, notamment avec un rôle possible de la pollution dans certaines villes.
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