QU'EST-CE qui peut donc bien pousser des garçons et des filles de 17 ou 18 ans à embrasser la carrière de médecin militaire ? A se lancer dans cette alliance incertaine du sabre et du scalpel ? Et, l'année où ils préparent le bac, à présenter, en outre, le concours d'entrée aux écoles du Service de santé des armées, extrêmement sélectif (2 000 candidats environ pour 140 places) ? Qu'est-ce qui peut les inciter à signer avec l'armée un engagement pour une durée plus longue (18 ans) que celle qu'ils ont vécue jusque-là, « ce qui fait quand même un choc », comme le reconnaît l'un d'entre eux ?
Sanglés dans leur uniforme, une dizaine d'étudiants et d'étudiantes des écoles du Service de santé des armées de Bordeaux et de Lyon, réunis à Paris à l'occasion du premier séminaire interarmes des grandes écoles militaires, avancent, pour « le Quotidien » des éléments de réponse.
Serait-ce tout simplement par atavisme ? Sans doute pas puisque la grande majorité d'entre eux ne sont enfants ni d'officier, ni de médecin. Par commodité matérielle alors, dans la mesure où les études de médecine de ces élèves-officiers sont entièrement prises en charge par l'Etat et que leur vie quotidienne est assurée dans des conditions qu'ils qualifient eux-mêmes de « confortables » ? Pas davantage puisque, si pendant de longues années, devenir médecin militaire était le seul moyen, ou presque, d'embrasser la carrière médicale pour un enfant de famille désargentée, cela ne semble plus être le cas aujourd'hui. Plus sûrement, c'est une certaine idée de ce qu'est la médecine militaire qui les motive. Et, d'abord, la certitude qu'ils auront, bien plus que dans le civil, l'occasion de pratiquer leur art « en mission extérieure », de faire « de la médecine d'urgence », comme le souligne une étudiante de 5e année de l'école de Lyon. «Je ne souhaitais pas rester assise derrière un bureau », renchérit Ariane (4e année, Lyon). Avis partagé par un de ses collègues : « Je voulais pouvoir faire de la médecine générale en opération extérieure. » Bref, il y a, semble-t-il, chez la plupart d'entre eux une attirance marquée pour le « militaro-humanitaire », pour cette image de « soldats de la paix », de baroudeurs de la médecine popularisée par les multiples opérations de maintien ou de rétablissement de la paix menées par les forces armées françaises.
Les contraintes qui pèsent sur l'exercice de la médecine en secteur libéral, avec notamment, comme le souligne Erwan (Lyon), « les dérives médico-légales », jouent aussi leur rôle. Tout comme, chez certains, a pu intervenir le désir de combiner armée et science. « Pour moi, confie Christophe (7e année, Bordeaux), ce fut un attrait pour les carrières militaires et une passion pour la biologie qui dictèrent mon choix. »
Mais à la question convenue : « Vous sentez-vous davantage militaire ou médecin ?», la plupart refusent de répondre. Ce qui est une façon de dire qu'ils se sentent autant l'un que l'autre. D'ailleurs, ces étudiants semblent particulièrement attachés à la composante militaire de leur formation. Suivant un cursus universitaire en tout point identiques à ceux des civils, s'asseyant sur les mêmes bancs des universités de Bordeaux et de Lyon, passant les mêmes épreuves, ils bénéficient au sein des écoles militaires -où ils logent durant les premières années de leurs études - d'un enseignement complémentaire, médical, militaro-médical et militaire. L'armée ne pourrait-elle concevoir, ne serait-ce que dans un souci d'économie, de recruter des médecins parmi des civils qui viennent d'achever leurs études, comme c'est le cas dans de nombreux autres pays ? Horresco referens : cette hypothèse fait pâlir ces futurs médecins des armées. La formation en école leur apporte « une cohésion, une capacité à travailler en équipe » plus nettement marquée, affirment-ils, que s'ils avaient suivi un cursus civil. « On perdrait une certaine forme d'esprit si l'armée recrutait ses médecins directement chez les civils », estime ainsi Nicolas (5e année de pharmacie, Lyon).
Rivalités avec les civils
Pas question donc, pour eux, de renoncer à une spécificité qui leur vaut cependant quelques déboires. Ce n'est pas trahir un secret-défense que d'affirmer que les élèves des écoles de santé ne sont pas toujours appréciés par leurs collègues civils. Sévèrement sélectionnés avant même la première année, ils ont au concours de PCEM 1 un taux de réussite nettement supérieur à la moyenne, ce qui suscite, ici où là, quelques jalousies tenaces. Et l'on a vu, voilà quelques mois, à Lyon, des civils et des militaires en venir aux mains, ou plus exactement aux pieds.
Brandissant volontiers une certaine éthique du service public et un certain désintérêt (« on ne fait pas médecine militaire pour gagner de l'argent »), ces futurs médecins des armées ne sont-ils pas guettés par un complexe de supériorité ? Peut-être pas, mais ils sont en tout cas conscients de certains de leurs atouts. Et, comme l'affirme Christophe, de ce que « le Service de santé des armées peut apporter des choses à la médecine civile ».
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