E N 1993, les hôpitaux de l'Assistance publique ont pratiqué 2 469 autopsies médico-scientifiques. Sept ans plus tard, en 2000, on n'en totalisait plus que 534. La baisse, pour ne pas dire l'effondrement, avoisine les 80 %. Entre-temps, les lois bioéthiques (1994) sont entrées en application. Elles stipulent en particulier : « Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille. »
Les autopsies médico-scientifiques sont sous l'empire de ce texte, alors que, pour les autopsies à des fins thérapeutiques, la loi se satisfait du consentement présumé de l'intéressé (s'il n'a pas exprimé son refus de son vivant).
En revanche, pour l'autopsie médico-légale, ou judiciaire, ordonnée par le procureur ou le juge d'instruction, en cas de mort violente ou suspecte, aucune opposition ne peut être formulée (voir encadré). De même pour l'autopsie sanitaire qu'ordonne le préfet en cas de suspicion de maladie présentant un danger pour la santé publique.
Le don du corps à la science, enfin, ou autopsie universitaire, est le fait du défunt qui a légué son corps à un institut d'anatomie.
La difficulté de rallier le consentement des donateurs et/ou de leurs familles constitue aujourd'hui un phénomène tellement massif que l'Académie nationale de médecine tire la sonnette d'alarme et a consacré une journée à cet enjeu médical et scientifique crucial.
Un instrument diagnostique
Car cet instrument diagnostique est loin d'être archaïque, en dépit de l'essor de la biologie moléculaire et de l'imagerie moderne. Pour preuve, ce travail récent, cité par le Pr Jean-Jacques Hauw (CHU de la Pitié-Salpêtrière) : « 248 services d'anatomie pathologique américains ont collecté les données de 2 479 autopsies scientifiques. Malgré les progrès considérables de la médecine moderne, la proportion des surprises importantes qui auraient permis de modifier le traitement du patient reste stable au fil des années, avec de 20 à 25 % des cas environ (...) A titre d'exemple, la valeur prédictive du diagnostic clinique de maladie d'Alzheimer n'est que de 81 % après autopsie et tombe à 44 % quand seuls sont comptés les cas purs (...) Autrement dit, plus d'un diagnostic sur deux portés avant la mort du patient est faux ou incomplet. »
De surcroît, c'est l'examen post mortem, rappelle le Pr Hauw, qui « permet seul le diagnostic de certitude dans certaines maladies, comme les affections à prions. La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, par exemple, n'aurait pas été reconnue sans l'autopsie. Aujourd'hui encore, c'est cet examen post mortem qui prouve le diagnostic de ces maladies que seule l'étude du cerveau peut affirmer formellement. »
Une autre possibilité demeure évidemment la biopsie cérébrale. Mais c'est un geste éthique pour le moins discutable.
Réhabiliter une morale de l'autopsie
Ethique, le mot est lâché. Si l'on veut rallier plus de donateurs à l'intérêt scientifique et médical de l'autopsie, il convient, estime Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique de l'AP-HP, de « réhabiliter une morale de l'autopsie ». Or, dit-il, «force est d'admettre, en dépit des arguments scientifiques peu contestables présentés par les spécialistes, que les techniques modernes de l'investigation clinique, apparemment moins intrusives, paraissent davantage compatibles avec les mentalités modernes. La nécropsie demeure donc entachée de doutes et de suspicions ».
En ces temps où la transparence s'applique tous les azimuts, « comment parvenir à rendre (l'autopsie) acceptable et à la désinvestir du système de représentation, souvent péjoratif, attaché à la mise en pièce du supplicié, au spectacle de la leçon d'anatomie en amphithéâtre, aux obscures manipulations entreprises dans le secret des morgues, souvent à l'insu des familles et de manière subreptice ou aux théorisations scientistes du siècle passé ? », demande Emmanuel Hirsch.
Selon lui, il faut « un effort de sensibilisation des professionnels et des étudiants en médecine aux enjeux éthiques ». De ce point de vue, « le remarquable travail réalisé par l'Etablissement français des greffes (EFG) constitue un modèle ».
Une instance pour veiller au contrôle des bonnes pratiques dans une perspective éthique serait, dans cet esprit, la bienvenue. Tant il est vrai qu' « il n'est pas de bonne pratique sans bonne conduite. Les recommandations en termes de procédures et de protocoles ne sauraient satisfaire, à elles seules, les exigences d'ordre moral. De telle sorte que demeure une suspicion, parfois confirmée par les professionnels eux-mêmes, qui réprouvent les dérives constatées et s'inquiètent d'un déficit de dignité, voire de sens moral ».
Et parmi les professionnels sur lesquels les membres de l'Académie comptent pour casser la courbe déclinante du nombre des autopsies, c'est le médecin traitant qui vient en tête devant l'ensemble de l'équipe soignante d'un service hospitalier et les personnels administratifs, notamment les bureaux d'état civil et de décès.
« Le médecin traitant est celui en qui le public a le plus confiance pour obtenir des informations justes sur le prélèvement et les greffes », note le Pr Didier Houssin, président de l'EFG. Une appréciation qui vaut tout autant pour l'autopsie scientifique.
L'importance du certificat de décès
Si l'autopsie médico-scientifique constitue un enjeu majeur pour la recherche et le diagnostic, l'autopsie médico-légale est essentielle pour réduire le nombre de crimes impunis.
C'est ce qu'a montré l'étude d'autopsies systématiques effectuées en Allemagne ou en Suède, a rappelé le Pr Daniel Malicier (hôpital Edouard-Herriot de Lyon). « La rédaction du certificat de décès permet la délivrance du permis d'inhumer, lorsqu'il n'existe pas d'obstacle médico-légal, souligne-t-il . La bonne rédaction du certificat de décès conditionne la réussite judiciaire de nombreux dossiers, tant sur le plan pénal que sur le plan civil. En effet, qu'en est-il d'une veuve qui a perdu son mari d'un mésothéliome lorsqu'on n'a pas pu établir, du vivant, qu'il existait un lien de causalité entre l'exposition à l'amiante et son cancer pleural ?
« Il est fréquent, dans la pratique quotidienne du médecin légiste, de se voir demander des avis en matière d'imputabilité à une maladie professionnelle, et l'expert doit pouvoir répondre valablement en s'appuyant sur des pièces médicales sérieuses, note le Pr Malicier . Le rapport d'autopsie fait partie de ces pièces médicales indispensables. » Par exemple, « une personne décède au cours d'une intervention chirurgicale, une femme meurt au cours d'une césarienne : un problème de responsabilité médicale est soulevé. Comment apprécier les différentes responsabilités médicales, celles du chirurgien, celles de l'obstétricien, si on ne peut déterminer la cause exacte du décès ? Dans de telles circonstances, accident du travail, maladie professionnelle, le certificat de décès doit faire état de l'obstacle médico-légal à l'inhumation. »
Les indications d'une autopsie médico-légale sont la mort violente (homicide, suicide, accident du travail), la mort suspecte, la mort subite (chez l'adulte comme chez le nourrisson), la mort par accident de circulation. Dans tous les autres cas, une discussion doit intervenir entre le magistrat et le médecin légiste afin d'apprécier l'utilité réelle d'une autopsie.
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