Médecins généralistes et pédiatres sont parmi les mieux placés pour repérer les troubles de l'adolescence nécessitant le recours à une consultation de pédopsychiatrie. Ainsi, au moins les deux tiers des adolescents ayant fait une tentative de suicide se sont adressés à un médecin généraliste dans les semaines précédant leur passage à l'acte.
Pourtant, l'essentiel du recrutement de ces consultations spécialisées concerne des enfants ayant entre 5 et 9 ans et, dans une moindre mesure, entre 11 et 12 ans, adressés le plus souvent par des enseignants, pour les effets sociaux de leurs troubles (sur les résultats scolaires ou l'ambiance de la classe, par exemple) plus que pour ces troubles eux-mêmes : les enfants calmes et studieux, même souffrants, le sont moins.
Pour rendre compte de cette difficulté d'orientation, il est possible d'invoquer deux raisons théoriques : la crainte d'adresser abusivement à un psychiatre un adolescent qui, a priori, en a peur lui-même et ne veut surtout pas être pris pour un fou ; la peur d'aborder la souffrance psychique de l'adolescent, largement partagée par tous les adultes. Il faut bien invoquer aussi une raison très pratique, qui renvoie souvent toute autre considération dans le domaine éthéré des bonnes idées : le manque catastrophique de psychiatres alors que la demande a été multipliée par deux ou trois en une quinzaine d'années. Reste enfin que la démarche n'est pas facile de toute façon : il faut savoir reconnaître la difficulté psychique derrière la présentation fréquente d'une plainte somatique, la différencier d'un trouble habituel de l'adolescence, prendre le temps de parler et d'écouter et enfin convaincre son interlocuteur du bien-fondé du parler et du recours éventuel à un psychiatre.
Reconnaître les signes
Deux éléments peuvent faciliter le repérage d'une fragilité anormale. D'une part, le comportement en dehors de la sphère familiale est souvent plus évocateur que l'inquiétude de parents qui remarquent que leur enfant « n'est plus comme avant » (et pour cause, il devient adulte !) : ainsi du retrait de tout investissement relationnel, voire de l'isolement, s'ils sont durables, des périodes de repli sur soi de quelques jours ou de quelques semaines étant habituelles à cet âge. D'autre part, il faut rester attentif au sentiment que donne l'adolescent d'être bloqué, figé, « glacé » à un stade évolutif, alors que cette période est riche en changements brutaux. Plusieurs consultations sont nécessaires pour évaluer ces éléments. Elles permettent, en outre, de montrer au jeune patient que quelqu'un s'intéresse à lui et peut l'écouter.
Deux situations réclament vigilance et rapidité d'intervention : les troubles du comportement alimentaire et les phobies scolaires. Les premiers font fréquemment l'objet d'un déni plus ou moins conscient de la part de l'adolescent, et même de ses parents, ce qui rend délicat l'annonce par le médecin de leur existence effective. Il y faut en général beaucoup d'empathie pour éviter la rupture. Les secondes sont souvent banalisées : tout changement fréquent d'établissement scolaire doit être suspect.
Le seul passage à l'acte qui doit inquiéter du seul fait qu'il existe est la tentative de suicide, même si elle a une apparence rassurante (par manque de gravité, de « sérieux ») : il n'y a aucun parallélisme entre cette apparence et la suite, qui peut être tragique. Les autres passages à l'acte doivent être évalués en fonction de leur contexte : ici, c'est plus leur répétition que leur nature même qui inquiétera.
La consommation régulière de cannabis pose un problème extrêmement difficile. Si, par exemple, l'on peut admettre qu'il n'y a pas de raison strictement médicale ou psychiatrique de s'alarmer d'une consommation hebdomadaire pendant le week-end, il en va tout autrement d'une consommation quotidienne massive, qui conduit à des comportements fortement évocateurs de schizophrénie. Les discussions sur l'origine de ces troubles (maladie préexistante ou déclenchement par le produit) s'apparentent à celle sur l'œuf et la poule ; il faut intervenir, sachant que proposer une cure de sevrage cannabique est une démarche compliquée...
En conclusion, l'attitude du médecin doit être guidée par quelques considérations simples : prendre son temps pour être disponible et à la parole et au silence ; mobiliser la famille, le face-à-face étant bien entendu essentiel, mais non exclusif ; accepter de faire part de sa propre inquiétude de soignant vis-à-vis du jeune patient, conduisant à demander un avis ; la consultation de psychiatrie est alors présentée comme une évaluation et non comme un traitement.
En effet, le problème des compétences du médecin traitant n'est pas souvent le plus déterminant : ce qui compte, c'est l'intérêt éventuel de changer de cadre thérapeutique. S'il reste des psychiatres disponibles sur le secteur du médecin, bien entendu.
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