BIEN SÛR, il y a les silences habituels. Pour ne pas dire convenus. A la Croix-Rouge française, par exemple, le Pr Jean-François Mattei, président, ancien ministre, fait répondre qu'il n'est pas dans les usages de la maison de prendre parti dans les débats internationaux. Mais, venant d'associations qui ont justement vu le jour en réaction à ces silences diplomatiques, c'est la surprise. C'est que, du Biafra à l'Afghanistan, du Cambodge au Rwanda, de l'Ethiopie à la Bosnie, on a tellement entendu les french doctors mobiliser médias et opinion que ce silence a de quoi surprendre. «C'est vrai, convient le Dr Jean-Hervé Bradol, président de Médecins sans frontières, pendant des années, nous avons beaucoup communiqué comme des champions de la morale universelle, avec des commentaires définitifs sur le bien et le mal sous tous les angles et toutes les latitudes. Ce faisant, nous avons dit pas mal de bêtises sous prétexte qu'il nous fallait être à chaque fois dans le camp des bons. Parmi les lieux communs que nous avons répandu avec arrogance, il y avait en particulier l'idée qu'il n'y a pas de paix possible sans justice.»
Recentrage.
Ces temps catéchétiques sont révolus. «Les humanitaires ont changé, se félicite le président de MSF. Aujourd'hui, nous nous exprimerions sur la Chine et le boycott des jeux Olympiques si nous avions des équipes au travail au Tibet pour ramasser les blessés ou prendre en charge des populations réfugiés dans des camps. Nous pourrions intervenir aussi dès lors que des organismes viendraient à usurper sur place le label humanitaire. Mais, comme nous ne sommes dans aucune de ces configurations, nous estimons que nous n'avons pas de raison à prendre part au débat. C'est ce qui fait que nous nous recentrons sur notre identité d'institut de praticiens. Nous sommes une association humanitaire de secours et non pas une association de droits de l'homme.»
Autrement dit, qu'Amnesty International mobilise sur le Tibet et contre la Chine, c'est son rôle, pas celui d'une ONG médicale.
Pour une fois, tout le monde dans la galaxie des associations semble sur la même longueur d'onde. «L'aide humanitaire privilégie le contact direct, confirme le Dr Pierre Micheletti. Le président de Médecins du monde considère que, «à défaut de cette proximité qui fonde l'acte médical et l'intervention humanitaire, rien ne saurait justifier que nous intervenions et nous nous prononcions sur la situation en Chine. Nous n'y sommes pas présents, nous nous garderons du narcissisme qui consisterait à nous exprimer dans une domaine qui n'est pas le nôtre.»
Dans le cas de MDM, la prudence est d'autant plus de rigueur que des projets de missions sont actuellement à l'étude, en particulier sur le sida, au Sichuan, dans la province des quatre rivières. Pas question de compromettre des actions qui pourraient être lancées là-bas en prenant le risque d'indisposer les autorités chinoises. «Moi-même, ajoute le Dr Micheletti, j'ai vécu plusieurs années en Chine mais je ne dispose pas des informations récentes qui me permettraient d'intervenir aujourd'hui.»
«Pas d'expertise, pas de légitimité, pas de prise de parole», résume-t-on à Aide médicale internationale.
Mais il ne faudrait pas que ce silence passe pour de l'indifférence, ajoute le Dr Bradol. Qui ne cache pas, mezzo vocce, «l'embarras qu'on éprouve parfois d'être un peu impuissant.»
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature