Par rapport à 2002, et même à 1995, le scrutin présidentiel est très différent.
1) Il se distingue des précédents en ce sens qu'il introduit un changement essentiel: c'est la première fois que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal sont candidats, de sorte que l'électorat a déjà le sentiment qu'on ne lui propose pas les mêmes que jadis. L'impression qu'entre Chirac, Jospin et consorts, les élections se jouaient presque à huis clos conduisait au cynisme de l'électeur. Cette fois, les Français, notamment les jeunes, sont nombreux à s'être inscrits sur les listes électorales.
2) La popularité fulgurante de Ségolène Royal, la course en tête de M.Sarkozy, la candidature désormais crédible de François Bayrou montrent que les Français aiment non seulement les têtes nouvelles, mais aussi la variété du choix. Ce retour à la politique s'accompagne d'un rejet de la règle du jeu habituel. M. Bayrou a cassé la bipolarisation et l'idéologie a cédé la place à d'autres critères. Ce qui explique les vastes engouements successifs pour Mme Royal, puis pour M. Bayrou.
De toute évidence, les Français, aujourd'hui, réclament moins une politique dictée par les dogmes qu'une politique pragmatique et efficace. Les enjeux passionnels, du genre « il faut que la gauche gagne » ou « il ne faut pas laisser passer la gauche » sont remplacés par : comment résorber le chômage, réduire la dette, équilibrer les comptes publics, augmenter le pouvoir d'achat des citoyens. Et la question de savoir si un candidat est fidèle à son camp est devenue secondaire, comme en témoigne la décision de Ségolène Royal de prendre ses distances avec le PS. Inconsciemment peut-être, l'électorat cherche un candidat au-dessus des partis et, surtout, au-dessus de leur appareil.
Nous ajouterons à ces considérations que l'enjeu majeur de ces élections est bel et bien la croissance : il n'y a pas d'autre problème, immigration, sécurité, « identité nationale », éducation, formation, dont une forte croissance ne peut pas venir à bout. Nos plaies actuelles sont de près ou de loin liées à ce point de croissance qui nous a manqué chaque année depuis trente ans.
3) Bien entendu, cinq ans de délocalisations, de suppressions d'emplois et de mondialisation ont créé en France une angoisse sans précédent. C'est la première fois que nos concitoyens ne croient pas que l'avenir sera meilleur que le passé. Et cela fait au moins vingt ans que le chômage des jeunes est devenu une réalité tenace, que les salariés et les cadres arrêtent de travailler bien avant 60 ans, que la croissance est notoirement insuffisante. L'électorat a besoin d'élire un candidat qui lui inspire, sur tous ces points, une grande confiance. Même l'appartenance à la droite, même la foi dans l'économie de marché n'empêchent pas le besoin de mettre de l'ordre dans une croissance non seulement faible mais créatrice de très fortes inégalités.
4) Bien que M. Bayrou ait porté un coup de boutoir à la bipolarisation, le choix de société reste clair; on n'a aucun doute à nourrir sur la volonté de chacun des candidats d'améliorer la condition humaine en France. Toute la différence porte sur la méthode et les électeurs doivent décider quelle méthode a le plus de chances de résoudre les problèmes.
Dans un domaine où le libre-arbitre est sacré, où le choix personnel doit être protégé de toutes les influences, seule la campagne, avec ses débats et ses discours, peut influencer l'électeur. Il nous semble qu'il essaie plus qu'autrefois de s'informer. Il a donc conscience qu'il risque de se tromper mais qu'il ne se trompera que s'il ne s'informe pas suffisamment. Aujourd'hui, le civisme est studieux.
5) Il y a, cette année, un désir d'éviter ce qui s'est produit en 2002, l'éviction de la gauche et le face-à-face droite-extrême droite au second tour. Il est clair que l'extrême gauche suscite moins d'engouement qu'il y a cinq ans ; que Jean-Pierre Chevènement et Christiane Taubira ont rendu un grand service au PS en retirant leur candidature ; que François Bayrou a rélégué Jean-Marie Le Pen à la quatrième place, ce qui, en soi, apporte la certitude que le round final opposera deux partis démocratiques.
Mais M. Bayrou n'est pas la vertu incarnée. Il souhaite introduire 50 % de proportionnelle dans la loi électorale ; cette proposition est dangereuse. Certes, la proportionnelle est le mode de scrutin le plus démocratique. C'est aussi le meilleur moyen de rendre la France ingouvernable. On note d'ailleurs que François Mitterrand, quand il a fait adopter la proportionnelle, a permis à une soixantaine de députés FN d'entrer à l'Assemblée ; quand, pendant la cohabitation qui a suivi, on est revenu au scrutin majoritaire, Mitterrand n'a rien trouvé à redire. Il est donc possible que M. Bayrou renonce à son projet.
En attendant, sa proposition doit peser dans la décision de chaque électeur.
Voilà beaucoup d'éléments qui rendent le moment particulièrement grave. Il nous semble que l'électorat ne doit pas se tromper dans son choix, car une erreur peut avoir de très sérieuses conséquences ; mais surtout le président qui sera issu des urnes doit savoir l'énorme responsabilité qu'il porte. Lui non plus ne doit pas se tromper sur les choix qu'il fera.
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