JE REVIENS d'un séjour de deux semaines aux Etats-Unis où j'ai examiné les différences d'analyse qui nous séparent des Américains. Parmi ceux à qui j'ai parlé, beaucoup étaient démocrates et s'apprêtaient à voter en faveur de John Kerry ; beaucoup en veulent à Ralph Nader de maintenir sa candidature « écologiste » qui, comme en 2000, risque de priver le candidat démocrate de sa marge décisive.
L'Amérique me paraît néanmoins plus polarisée que jamais : les sondages les plus récents montrent que M. Kerry a perdu l'avance qu'il avait acquise au lendemain de la convention. M. Bush, par ailleurs, peut attendre de la convention républicaine qui commence le 31 août, de la campagne diffamatoire conduite par des officines anti-Kerry (voir encadré) et de l'énorme budget dont il dispose, d'améliorer ses positions dans les semaines qui viennent.
Le handicap de l'honnêteté.
On dénombre autant de démocrates ardents que de républicains qui considèrent que M. Bush est resté dans les rails de la tradition du GOP (Grand Old Party). En gros, chacun des deux candidats peut compter sur 45 % des suffrages exprimés. La bataille se joue donc sur les 10 % d'indécis. Il n'est pas certain que John Kerry puisse obtenir la majorité à l'intérieur de cette marge. Il souffre principalement de son honnêteté intellectuelle, et n'est pas homme à simplifier les questions de politique étrangère qui, pour la première fois depuis Reagan, prennent cette année une importance considérable. Mais surtout, il n'est pas parvenu à convaincre les républicains que M. Bush est un extrémiste par rapport à la mouvance générale de leur parti, un idéologue plutôt qu'un pragmatiste et un ami intime du lobby industriel, contrairement au « républicanisme compassionnel » qu'il affichait au début de son mandat.
Pour nous, Européens, l'invasion de l'Irak a été conçue sur la base du mensonge, de l'impréparation et, pour ce qui concerne la période qui a suivi la guerre proprement dite, de l'amateurisme. Ce n'est pas l'analyse des partisans de M. Bush, que l'inexistence des armes de destruction massive et le scandale des geôles américaines n'ont pas démoralisés???. Notre solidarité avec les Américains, au lendemain des attentats du 11 septembre, s'est rapidement dissipée, alors qu'ils ont été plongés durablement dans une forte méfiance, pour ne pas dire une aversion définitive pour le monde arabo-musulman.
CETTE GUERRE, AVEC SES SUCCES ET SES DEFAITES, C'EST CELLE DE TOUS LES AMERICAINS
Pas que la guerre de Bush.
La haine n'est pas à sens unique ; et nous n'avons pas compris qu'il existe toujours, aux Etats-Unis, une volonté d'en découdre avec les terroristes d'Al-Qaïda et avec les régimes (iranien, syrien et même saoudien). Dans ce climat, l'invasion de l'Irak, après celle de l'Afghanistan qui, elle, était parfaitement légitime, est apparue comme une suite logique du conflit mondial qui oppose l'Amérique au terrorisme. L'Irak n'est pas que la guerre de Bush, c'est-à-dire d'un président et de son entourage, c'est aussi celle d'une moitié des Américains et les films de Michael Moore n'y changeront rien. Les succès et les défaites, les morts de cette guerre, les efforts inlassables pour recontruire l'Irak, sont ceux de tous les citoyens, y compris dans l'opposition.
En outre, George W. Bush n'est plus ce qu'il était il y a deux ans, un président intraitable qui voulait Ben Laden mort ou vif et considérait qu'on ne pouvait être qu'avec lui ou contre lui. Il a changé et il est venu progressivement, sous le poids des contraintes, au multilatéralisme, ce qui gomme quelque peu l'image extrémiste que nous continuons à avoir de lui. Pour les Américains, Bush est simplement un président conservateur, dont la détermination et le langage simple et direct sont rassurants.
Un équilibre précaire.
Certes, le président en exercice n'a limogé aucun de ses conseillers les plus proches, ni le secrétaire à la Défense, Ronald Rumsfeld, dont l'influence a été discrètement réduite par la Maison-Blanche, ni l'inepte Condoleeza Rice, qui recherche sans cesse le consensus dans un contexte marqué par de fortes divergences entre les proches du président.
Certes, Colin Powell, le seul homme qui ait une influence modératrice sur le président, et qui a avalé beaucoup de couleuvres, s'apprête à quitter ses fonctions, même si M. Bush est réélu. Certes, M. Bush a nommé à la tête de la sécurité un homme, Porter Goss, élu de Floride, qui lui est complètement acquis, alors que la dépolitisation des services de renseignements est indispensable à l'établissement des faits : trop souvent, ces dernières années, la CIA, le FBI et les autres services ont dit à la Maison-Blanche ce qu'elle voulait entendre.
Mais le bilan de M. Bush est moins désastreux qu'on ne le dit : lentement, péniblement, l'Irak se redresse. A côté des actes de violence et des attentats contre les oléoducs, des centaines d'hôpitaux et d'écoles ont été construits. En Afghanistan, la situation, à la veille des élections générales, est précaire, mais les Afghans n'ont jamais eu autant de libertés qu'aujourd'hui. Hamid Karzaï, à Kaboul, et Iyad Allaoui, à Bagdad, se battent contre des forces centrifuges, seigneurs de guerre et talibans en Afghanistan, chiites et saddamistes en Irak. Mais l'indécision même de ces batailles peu permettre à M. Bush de franchir le cap de novembre, dans soixante-huit jours.
La campagne des calomnies
Le plus grand danger pour John Kerry, c'est l'odieuse campagne de calomnies qu'ont engagée contre lui des groupes républicains, qui diffusent des spots publicitaires affirmant qu'il ment sur ses faits d'armes au Vietnam. George W. Bush a déclaré lundi que son adversaire pouvait être fier de son passé de combattant. Il n'a pas pour autant désavoué ceux qui diffament le candidat démocrate, pas plus qu'il ne leur a interdit de poursuivre cette campagne honteuse. Elégant, M. Kerry n'a pas cru bon de répondre à ces attaques sournoises, même quand un certain John O'Neil a publié un livre qui réécrit la biographie du sénateur du Massachusetts.
Il est peut-être trop tard pour limiter les dégâts. Aujourd'hui, M. Kerry se défend comme un bon diable, fait sonner la charge de ceux qui ont combattu à ses côtés, mais le mal est fait. Le public ne sait plus qui croire et la campagne électorale de 2004 restera dans l'histoire comme l'une des plus malsaines.
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