COMMENT un dictateur isolé, contre lequel se dresse une majorité populaire, dont l’armée compte presque autant de déserteurs que de soldats loyalistes, qui est condamné sans réserves par le monde entier et plus particulièrement par ses pairs arabes, peut-il se maintenir au pouvoir ? Bachar Al-Assad a d’abord cru qu’une férocité inhumaine lui éviterait le sort des Ben Ali, Moubarak et Kadhafi. Le courage insensé des Syriens, qui continuent, des mois après le début de l’insurrection, à se battre les mains nues, lui a prouvé le contraire. En utilisant contre le peuple des armes lourdes qu’il est le seul à détenir, il espère se maintenir au pouvoir, quel qu’en soit le prix en vies humaines. Mais, même s’il réalisait son répugnant dessein, il est politiquement disqualifié. Ce qui se négocie en coulisses, c’est une transition ordonnée.
La Russie (et accessoirement la Chine) s’oppose à une résolution du Conseil de sécurité qui condamnerait le régime syrien parce qu’elle y voit le début d’un processus conduisant à une intervention militaire comparable à celle de l’OTAN en Libye. L’OTAN qui, selon Moscou, a outrepassé les droits que lui avait accordés l’ONU. Sur le papier, c’est une réflexion juridique. Dans la réalité, la diplomatie russe n’est rien d’autre que l’expression du plus profond cynisme au service de ce qui reste de l’influence de Vladimir Poutine au Proche-Orient.
Un vieux réflexe de guerre froide.
La Russie a des intérêts en Syrie à qui elle vend des armes, et en qui elle voit un rempart contre l’influence occidentale. Un vieux réflexe de guerre froide qui montre que M. Poutine est plus l’héritier de la vieille diplomatie stalinienne que l’inventeur d’une politique étrangère en phase avec une démocratie soucieuse des droits de l’homme. La Syrie, dans la pensée poutinienne, n’est que la pièce d’un puzzle. L’influence d’Assad au Liban est restée très forte jusqu’à présent et les Libanais, le souffle coupé, attendent la chute du dictateur qui pourrait signifier pour eux qu’ils vont enfin gérer leurs affaires à l’abri de son ingérence. Laquelle est représentée par le Hezbollah surarmé qui menace Israël sur sa frontière nord. Un affaiblissement du Hezbollah serait donc un événement favorable à Israël et au Liban (mais pour des raisons différentes), ce qui ne conviendrait ni à la Syrie, ni à l’Iran, qui finance le mouvement chiite.
Vladimir Poutine pense que le Hezbollah, la Syrie, l’Iran et le Hamas font un bon contrepoids à la puissance militaire israélienne. C’est pourquoi il n’est pas affolé par l’accession prochaine de Téhéran à l’arme atomique ; et pourquoi il déteste tout ce qui peut déstabiliser ses alliés objectifs dans la région. Parallèlement, le printemps arabe inspire aux dirigeants russes (comme aux dirigeants chinois), une crainte, proche de la panique, qui s’est d’ailleurs traduite dans les deux pays par une répression accrue de la liberté d’expression. En Russie, de vastes manifestations populaires ont suivi des élections truquées et contestées avec une colère qui a sorti M. Poutine, de l’apathie satisfaite et arrogante où il se laissait plonger. En Chine non plus on ne fait guère de sentiment. On préfère que les dictatures arabes restent en place plutôt que d’assister à la contagion libertaire qui vient du monde arabe.
LA RUSSIE ET L’IRAN CONTINUENT À PROTÉGER ASSAD
L’idée des Russes ou des Chinois n’est sans doute pas de maintenir au pouvoir à Damas un homme qui s’est largement discrédité. Il n’est plus possible de revenir à la Syrie d’avant. Ils voudraient donner le change et que soit mis en place un pouvoir de transition issu de l’équipe actuelle ; il remplacerait Assad sans changer vraiment la façon de gouverner. De la même manière, le départ d’Assad serait un coup dur porté aux intérêts iraniens. Ni le président Ahmadinejad ni le « Guide suprême » Khamenei, qui ont réprimé dans le sang, en 2009, un soulèvement populaire provoqué par des élections truquées (le même phénomène qu’en Russie en 2011), n’accueilleraient avec placidité l’arrivée d’un pouvoir qui, sous le prétexte de donner aux Syriens leurs droits essentiels, en oublierait de faire peser sa menace militaire sur Israël et de financer le Hezbollah libanais. Il n’y a pas de hasard : si les Syriens ne sont pas libres, ce n’est pas seulement à cause de leur propre dictateur, c’est aussi à cause de la complicité d’autres dictatures.
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