L'HYPOALBUMINEMIE apparaît fortement liée à une évolution clinique défavorable des patients hospitalisés en réanimation, mais les essais cliniques de correction de l'hypoalbuminémie par l'albumine humaine restent sujets à argumentation. Il n'est pas montré de supériorité par rapport aux autres solutés, et tout particulièrement ceux qui ont une pression osmotique > 20 mmHg (1). Un nombre sensiblement égal d'auteurs ont rapporté des arguments défavorables ou favorables à la correction de l'hypoalbuminémie par l'apport d'albumine exogène. Une métaanalyse récente (1) montre cependant qu'il y a une tendance à la diminution de certaines complications (Tableau 1).
Jusqu'à quel point peut-on tolérer une hypoalbuminémie ? Le consensus de la Sfar en 1996 (2) a tenté de cerner les situations pathologiques où, la régulation du milieu intérieur ne répondant plus aux lois de l'homéostasie, il devient nécessaire de corriger l'hypoalbuminémie. Considérant qu'il s'agit d'une valeur quantitative ponctuelle de protéine plasmatique, ne prenant pas en compte les réserves albumineuses extravasculaires de l'organisme (équivalentes à 60 % de la quantité totale, mais très différentes en fonction de l'âge des patients, de leur état de dénutrition et/ou de leurs pathologies), le consensus a préconisé une évaluation soigneuse du contexte clinique avant toute complémentation. Une compensation thérapeutique arbitraire de l'hypoalbuminémie peut se concevoir à partir de valeurs inférieures à 20 g/l.
C'est à la suite de ce consensus que l'on a pu observer en France des modifications importantes de la consommation d'albumine avec, entre 1993 et 1998, un passage de 0,40 g/habitant à 0,15 g/habitant, alors qu'une évolution de même ordre, mais moins marquée, se produisait aux Etats-Unis et dans de nombreux pays européens à partir de 1996. La diminution de la consommation d'albumine humaine à usage thérapeutique en France semble avoir été compensée par une consommation fortement augmentée des colloïdes artificiels. Des enquêtes nationales ont en effet montré que, chez les patients en réanimation, la consommation de substituts du plasma de type HEA était 20 fois supérieure à celle de l'albumine à 4 % (Tableau 2). Selon une source Mapi datant de mars 1999, les principales prescriptions d'albumine humaine dans les services de réanimation concernaient les ascites des cirrhoses (22 %), les brûlés (12 %), la chirurgie digestive ou cardiaque compliquée (9 %), les insuffisances rénales avec syndrome néphrotique (8 %), les insuffisances hépatiques après transplantation (7 %), les états de dénutrition avec œdèmes (6 %), puis les chocs septiques/toxiques/hypovolémiques (5 %), les leucémies ou lymphomes (5 %), ainsi que de nombreuses autres indications ponctuelles.
Les indications.
L'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (Emea), en 2000, a réservé l'indication de l'albumine à usage thérapeutique aux cas nécessitant « la restauration et le maintien du volume sanguin circulant lorsque la perte de volume a été démontrée et que l'utilisation d'un colloïde est appropriée ; le choix de l'albumine par rapport aux autres colloïdes devant dépendre de la situation clinique de chaque patient, selon les recommandations officielles de chaque pays ».
L'Afssaps, la même année, a émis des recommandations plus restrictives, ne préconisant l'utilisation d'albumine humaine que chez les patients hypoalbuminémiques ayant subi des pertes massives et prolongées d'albumine, associées à un défaut de synthèse.
En ce qui concerne le remplissage vasculaire, il n'existe aucun argument clinique pour recommander l'usage d'albumine plutôt que celui d'autres solutés, sinon lorsque ces alternatives thérapeutiques apparaissent contre-indiquées ou en échec.
L'intérêt de l'albumine dans le remplissage vasculaire en réanimation a fait l'objet d'un suivi par le groupe Cochrane (3). Depuis 1998, ce groupe a publié 30 études contrôlées, correspondant à 1 419 patients randomisés. Cette métaanalyse montre même une absence d'influence de l'albumine sur les risques de mortalité.
L'étude SAFE, randomisée en double aveugle sur presque 7 000 patients, est venue la compléter (4). Elle recense la mortalité à 28 jours, après remplissage vasculaire par de l'albumine pour l'un des groupes et par sérum salé isotonique pour l'autre. Les résultats sur la mortalité et la morbidité sont équivalents dans les deux groupes. Une analyse de sous-groupes a même montré que, chez les traumatisés, et tout particulièrement les traumatisés crâniens, les décès des patients sous albumine sont significativement plus nombreux. De toute évidence, ces études comparatives et ces métaanalyses sont en fait difficiles à interpréter, d'autant que les groupes témoins sont souvent soumis à des conditions de remplissage peu systématisées.
L'albumine humaine n'a donc que des indications exceptionnelles de première intention dans le remplissage vasculaire :
- l'albumine à 4 % : chez la femme enceinte, en particulier les situations de prééclampsie, au cours des syndromes de Lyell, dans les échanges plasmatiques, chez les brûlés au-delà de la 24e heure, ainsi que dans les cirrhoses de l'adulte ou de l'enfant ;
- l'albumine à 20 % : dans les syndromes oedémateux majeurs avec hypoalbuminémies profondes, chez les adultes ou les enfants traités en réanimation, ainsi que chez les patients présentant une maladie du greffon contre l'hôte.
Les colloïdes de synthèse et les cristalloïdes ont donc, pour indication première, le traitement en urgence des états d'hypovolémie, ce qui implique une bonne connaissance des propriétés pharmacologiques et pharmacocinétiques des différents solutés disponibles.
Importance physiologique de l'albumine dans certaines situations cliniques.
La valeur pronostique de l'hypoalbuminémie chez les patients en réanimation a été rapportée par plusieurs études : l'étude rétrospective de Blunt (1998) soulignant que les survivants, en USI, avaient une albuminémie moyenne supérieure à celle des non-survivants ; l'étude prospective de Mangialardi (2000) mettant en évidence, chez les patients souffrant d'un sepsis sévère ou d'un Sdra, une forte corrélation entre l'hypoprotéinémie et le recours à une assistance respiratoire, un gain de poids, une rétention hydrique et une augmentation de la mortalité.
L'hypoprotéinémie a également une valeur pronostique dans les pathologies chroniques graves (cardiaques, rénales, pulmonaires) et, particulièrement, chez les personnes âgées et/ou dénutries.
L'albumine est une molécule complexe au contact de l'ensemble des tissus. Elle possède des propriétés indispensables au bon fonctionnement des organes dans des conditions normales de régulation de l'homéostasie du milieu intérieur (équilibre hydro-électrolytique, acido-base, hémostase, réactions de défense...).
Les fonctions indiscutables de l'albumine sont d'assurer une réserve d'acides aminés à de nombreuses substances. Cette molécule peut s'opposer à la toxicité éventuelle de certains catabolites et ses fonctions de transport jouent un rôle essentiel entre les ligands endogènes et exogènes de l'organisme.
Son efficacité (et son coût) imposent encore des réserves sur ses prescriptions et ses indications. Certaines d'entre elles méritent encore d'être précisées.
Depuis des décennies, de très nombreux travaux dont les résultats sont contradictoires remettent en cause la pertinence de la prescription de l'albumine dans le remplissage vasculaire... et ça continue.
*CHU de Bordeaux
(1) Vincent JL et coll. « Crit Care Med » 2004 ; 32 : 2029-2038.
(2) Conférence de consensus de la Sfar, « Ann Fr Anest-Réanim, 1996 ; 15 : 405-568.
(3) Cochrane Injuries . « BMJ » 1998 ; 317 : 235-240.
(4) The SAFE study investigators. « N Engl J Med » 2004 ; 350 : 2247-2256.
(6) Guyton AC, Lindsey AW. « Circ Res » 1959 ; 7 : 649-667.
(7) Mangialardi RJ, Martin GS et coll. « Crit Care Med » 2000 ; 28 : 3137-3145.
(8) Martin GS, Mangialardi RJ et coll. « Crit Care Med » 2002 ; 30 : 2175-2182.
(9) Reising CA et coll. « J Surg Res » 1999 ; 82 : 56-60.
(10) Cole L et coll. « Intensive Care Med » 2001 ; 27 : 978-996.
(11) Joannes-Boyau O et coll., Asaio J, 2004 ; 50 : 102-109.
(12) Riegger QL. « Crit Care Med » 2002 ; 30 : 2649-2654.
(13) Arques S. « Arch Mal J Am Coll Cardiol » 2003 ; 42 : 712-716.
(14) Gentilini P. « J of Hepatology » 1999 ; 30 : 639-645.
(15) Boldt J. « Crit Care Med » 1996 ; 24 : 385-391.
(16) Sort P et coll. « N Engl J Med » 1999 ; 341 : 403-409.
(17) Manelli JC. « Ann Fr Anesth-Réanim » 1996 ; 15 : 507-513.
(18) Reinhardt GF et coll. « J Parenter Enteral Nutr » 1980 ; 4 : 357-359.
(19) Goldwasser P et coll. « J Clin Epidemiol » 1997 ; 50 : 693-703.
Deux exemples
ALI ou Sdra.
L'hypoprotéinémie au cours du Sdra a été corrélée à une rétention hydrique, à un gain de poids et à un pronostic défavorable, avec prolongation de la ventilation mécanique et surmortalité par sepsis (5). Chez des patients ventilés souffrant d'ALI (Acute Lung Injury), Martin et coll. (6) ont pu observer qu'un traitement associant furosémide et albumine (25 g/8 heures pendant 5 jours) versusplacebo entraînait une amélioration du rapport PaO2/FiO2, une perte de poids et une amélioration des paramètres hémodynamiques (Fc), mais n'améliorait pas le taux de mortalité. Dans un modèle animal de Sdra (7), les auteurs ont aussi observé des effets bénéfiques dans le groupe traité par furosémide par rapport au groupe contrôle. Mais cette efficacité est-elle liée à la compensation en albumine ou à la prescription de furosémide ? Des résultats similaires peuvent être obtenus dans le Sdra ou les chocs septiques par la technique de l'hémofiltration continue qui améliore rapidement l'état hémodynamique et, surtout, les échanges gazeux, chez des patients ne répondant plus au traitement conventionnel (8, 9). Par ailleurs, il est généralement admis que l'apport d'albumine, dans de nombreuses situations cliniques où les capillaires pulmonaires sont altérés, peut être à l'origine d'údèmes interstitiels susceptibles de majorer le dysfonctionnement des échanges gazeux alvéolaires (10).Sepsis.
Dans les chocs septiques (11), il semble que l'albumine à usage thérapeutique puisse augmenter la mortalité par l'intermédiaire d'adhésines inflammatoires qui altèrent les propriétés de transport et d'épuration de l'albumine. Au cours des péritonites bactériennes spontanées qui s'accompagnent d'une vasodilatation artérielle avec hypovolémie, altération du volume sanguin efficace, activation des systèmes vasoconstricteurs et diminution de la perfusion rénale, un syndrome hépato-rénal paraît pouvoir être prévenu par un traitement associant antibiotiques adaptés et albumine (12). La correction de l'hypovolémie est certainement essentielle dans ce contexte. L'usage de l'albumine est possible, comme celui des substrats colloïdaux de synthèse. Cependant, ces derniers, lorsqu'ils sont prescrits de façon prolongée, peuvent être responsables de surcharge cellulaire de certains de leurs catabolites avec dégradation des fonctions du système réticulo-endothélial, en particulier au niveau du foie (cellules de Kuppfer).
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