UNE BRECHE va-t-elle s'ouvrir en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui, actuellement interdite en France ? Fin octobre, la cour d'appel de Paris a reconnu comme parents légitimes un couple qui a eu recours à une mère porteuse américaine pour concevoir ses jumelles.
L'histoire de ces parents remonte à 1998, quand Sylvie, qui vit depuis douze ans avec Dominique, apprend qu'elle n'a pas d'utérus et envisage de recourir à une mère porteuse là où une telle pratique est autorisée, en Californie. Le couple s'y rend et rencontre Mary, la future gestatrice. Le 25 octobre 2000, grâce à un transfert d'embryons issus d'ovules d'une tierce donneuse et des spermatozoïdes de Dominique, Mary donne naissance à des jumelles. Les certificats de naissance sont établis conformément à la législation californienne : le couple y est désigné comme les parents. Mais, à leur retour en France, placés en garde à vue, ils sont mis en examen pour «entremise entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître». En 2004, le juge d'instruction rend un non-lieu sur les poursuites pénales, les faits s'étant déroulés dans un pays où cette pratique est légale. Sur le terrain civil, le parquet demande toutefois l'annulation de la filiation et de la transcription sur l'état civil. En 2005, le tribunal de Créteil tranche en faveur du couple, décision confirmée par la Cour d'appel de Paris.
Dans son arrêt, la cour conclut que «la non-transcription des actes de naissance aurait des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d'actes d'état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l'égard de leur père biologique».
(S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »)La loi face à l'intérêt de l'enfant.
Comme le préconisait le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) en janvier 2006 (l'avis n° 90 sur l'accès aux origines, anonymat et secret de la filiation), la justice a pris en compte l'intérêt des enfants. «C'est une bonne chose pour les fillettes mais, pour autant, on ne peut pas s'attendre à un renversement de jurisprudence», indique un des rapporteurs de l'avis, le Pr Claude Sureau. «Nous sommes en présence d'un arrêt procédural qui se prononce sur la manière dont les juges de première instance ont traité le problème. Il ne s'agit pas d'un arrêt de principe. On ne peut donc pas affirmer que la barrière juridique est tombée, d'autant que l'article 16-7 interdit formellement la maternité de substitution», rappelle le gynécologue-obstétricien. L'article 16-7 du code civil, issu des lois bioéthiques de 1994, pose le principe que «les conventions portant sur la maternité ou la simple gestation pour le compte d'autrui sont nulles, d'une nullité absolue, et le juge, s'il est informé de l'existence de la convention, doit refuser de prononcer l'adoption qui est demandée ultérieurement». C'est l'existence de cet article qui fait dire au Pr Sureau que le pourvoi en cassation, introduit cette semaine par le parquet général de Paris, ne dérogera pas à la jurisprudence. Jusqu'à présent, la Cour de cassation a toujours interdit l'adoption des enfants par des couples ayant eu recours à la gestation pour autrui, considérant qu'il s'agissait d'un détournement de l'institution de l'adoption. Le seul revirement à attendre serait donc une modification de la loi bioéthique, dont la révision prochaine est prévue en 2009. Reste à savoir quels sont les changements à apporter.
Les différentes réalités de la gestation pour autrui.
Le terme de gestation pour autrui comprend plusieurs réalités. Il y a tout d'abord le cas de la femme qui, faute d'utérus, ne peut pas porter d'enfant. «Dans une telle circonstance, on peut imaginer d'effectuer sur elle un prélèvement d'ovocyte, un prélèvement de sperme du compagnon, puis après fécondation in vitro, le transfert de l'embryon dans l'utérus d'une mère porteuse. C'est une situation inédite où il y a une filiation génétique sans filiation biologique. En mon nom personnel, et à condition que des précautions éthiques minimales soient respectées comme en Angleterre, il me semble que l'on pourrait l'envisager», juge Claude Sureau. Il y a également le cas où, comme pour les parents des jumelles, la gestation pour autrui est consécutive à une procréation pour autrui. Trois femmes interviennent dans cette filiation : la donneuse d'ovocyte, la gestatrice et la mère d'adoption. «A un moment où des associations militent, avec beaucoup de vigueur et d'honnêteté, en faveur de la connaissance des origines, on ne peut pas éluder la question de l'enfant qui résultera d'une telle conception», commente Claude Sureau, qui se garde de toute position tranchée.
De son côté, Laure Camborieux, présidente de l'association Maia, qui milite pour la légalisation de la gestation pour autrui, estime que la décision de la Cour d'appel de Paris constitue «une avancée».
Autoriser au cas par cas.
Pour autant, elle aussi s'interroge sur les conséquences, pour l'enfant de cette démultiplication des origines. «A partir du moment où cela est légal dans d'autres pays, on ne peut stigmatiser aucune situation, prévient-elle . Toutefois, en France, le cadre qui est aujourd'hui compris et accepté par l'opinion publique, c'est celui d'une gestation pour autrui issue des gamètes du couple qui élèvera l'enfant.»
Pour le Pr Israël Nisand, gynécologue-obstétricien au CHU de Strasbourg, l'intérêt de l'enfant né est toujours supérieur à celui qui n'existe pas. «Il y a bien sûr des demandes qui ne sont pas audibles: il ne s'agit pas de passer d'un autoritarisme dogmatique et religieux à un laxisme total et absolu», tempère le médecin, qui s'oppose à la situation où la mère porteuse est également la donneuse d'ovocyte : «Je suis contre car cela correspond à lui faire donner son enfant. Ça s'appelle de l'abandon ou de l'achat d'enfant, explique-t-il. Mais ce n'est pas parce que la loi est difficile à écrire qu'il ne faut pas la faire. Pourquoi estimer d'emblée que ce service incroyable rendu par une femme pour une autre sera pourri par l'argent? En Angleterre, 50% des mères porteuses sont les soeurs des mères. Rester sur la ligne actuelle qui interdit tout ne colle pas avec ma vision d'une démocratie moderne. Il faut se préoccuper des enjeux éthiques, bien sûr, mais rien n'empêche de pouvoir agir au cas par cas, comme ce qui est d'ailleurs fait actuellement pour les avortements d'enfants mal formés. C'est aussi une décision extrêmement difficile à prendre, et, pourtant, il y a 6000 dossiers analysés chaque année en France.»
Devant le risque d'un marché et d'une exploitation commerciale des mères porteuses, le législateur de 1994 (puis celui de 2004) avait choisi l'interdiction totale. Sa pratique dans d'autres pays et son caractère légal dans divers pays étrangers – en Grande-Bretagne et en Californie mais aussi en Afrique du Sud, en Australie, en Belgique, au Canada, en Grèce, en Israël – «justifient la poursuite de la réflexion dans notre pays», soulignait-on au CCNE, dans l'avis de 2006. «Plutôt que d'élaborer des dispositions législatives rigoureuses, je serais plus en faveur d'un système permettant aux personnes intéressées (couple, donneuse, porteuse, praticiens...) de réfléchir à ce qui est la meilleure solution dans chaque cas particulier. Si j'avais à plaider pour une solution, c'est une solution du type du centre d'éthique clinique de Cochin: une approche humaine et intelligente», indique le Pr Sureau.
Pour Laure Camborieux, la légalisation de la gestation pour autrui permettrait d'encadrer une pratique aujourd'hui clandestine. «Il est fondamental d'organiser un contrôle avant la grossesse comme en Grèce ou en Afrique du Sud, qui font dépendre de ce contrôle l'établissement de la filiation», ajoute la présidente de l'association Maia. Et qui pourrait le mieux s'assurer de ce contrôle au cas par cas ? «Une structure du type du centre d'éthique clinique de Cochin», répond Laure Camborieux. «Quand on a les gens en face de soi, ce qui n'est pas toujours le cas du législateur, on ne peut pas tricher», affirme le Pr Nisand.
La mère porteuse, déjà une réalité pour les Français ?
Selon une enquête menée par l'Agence de la biomédecine en janvier dernier, 44 % des personnes interrogées pensent que le recours aux mères porteuses est déjà autorisé par la loi en France. Ce sondage, réalisé auprès du grand public pour faire un état des lieux de l'opinion sur les principales questions de société soulevées dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation, montre que les Français estiment acceptable, à 55 %, «le fait qu'une femme en bonne santé prête son corps à un couple pour porter leur enfant et lui donner la vie». Par ailleurs, 53 % d'entre eux considèrent que la loi devraient autoriser cette pratique.
Repères sur l'AMP
– De 25 000 à 30 000 couples sont adressés chaque année à un centre de procréation médicalement assistée. L'Agence de la biomédecine délivre aux praticiens les agréments pour une durée de cinq ans.
– Seuls les 23 centres de conservation des gamètes répartis sur le territoire national sont habilités à recueillir et à conserver les gamètes. Le don de spermatozoïdes et d'ovocytes est un acte anonyme et gratuit. La congélation des ovocytes n'est pas pratiquée en France dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation (AMP) du fait des résultats médiocres obtenus après congélation-décongélation.
– Pour accéder à l'AMP, le couple doit être hétérosexuel, en âge de procréer et marié ou justifier de deux ans de vie commune au minimum. En cas de dissolution du couple ou de décès de l'un des deux membres, le processus d'AMP est arrêté.
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