PLUS LES JEUNES commencent tôt à fumer, plus ils risquent de devenir des usagers réguliers et moins ils auront de chance de pouvoir s'arrêter. Or il est clairement établi que l'exposition à la réclame directe et indirecte en faveur du tabac les incite à franchir le pas. Les fabricants dépensent des dizaines de milliards de dollars dans le monde chaque année pour vanter leurs produits estampillés «mortels pour la santé» par l'autorité sanitaire planétaire. Face à cette «menace», l'OMS entend faire passer un message fort pour sa 21e Journée sans cigarette. Un des moyens les plus efficaces pour éviter que les enfants ne deviennent dépendants consisterait à bannir toute forme de matraquage publicitaire, promotion et parrainage inclus. En d'autres termes, «Tabac: évitez le piège de la publicité», lance l'Organisation mondiale de la santé, le 31 mai, à ses États membres les moins enclins à la santé publique.
Aujourd'hui, on compte dans le monde, environ 1,8 milliard de jeunes âgés de 10 à 24 ans, dont plus de 85 % vivent dans des régions en développement. «À mesure que l'industrie tabacole intensifie ses efforts pour les attirer, en espérant les fidéliser, la santé d'une grande proportion d'entre eux se détériore», souligne l'OMS. En règle générale, 25 % des fumeurs ont commencé avant l'âge de 18 ans, c'est dire que pour eux les chances de pouvoir arrêter se révèlent fort compromises. D'où l'urgente nécessité d'interdire la pub, comme le préconise la convention cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, entrée en vigueur le 27 février 2005 et signée à ce jour par 154 pays.
En France : il serait temps de majorer les taxes.
En France – où les annonces publicitaires se limitent à la presse écrite pour adultes (lois du 9 juillet 1976 et 10 janvier 1990) –, les efforts portent, pour la journée sans tabac, sur l'incitation à l'arrêt et l'aide au sevrage. Une nouvelle campagne de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), qui s'achèvera le 31 juillet, en témoigne (voir encadré). Pour sa part, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) diffusera dans les rues de la capitale, le 31 mai, des cigarettes sous forme de billets ( «flyers») porteurs de messages empruntant à des documents internes de l'industrie tabacole tenus secrets, selon lesquels la jeunesse doit être en priorité sa cible, comme l'illustrent de récentes marques mises sur le marché (voir encadré). Actuellement, le tabagisme quotidien touche 32 % des Français âgés de 17 ans, contre 41 % en 2000, dont 10 % fument plus de 10 cigarettes (12 % en 2000). Le CNCT, présidé par le Pr Yves Martinet, pneumologue nancéien, chef de file de l'Alliance contre le tabac (ACT)*, préconise «la vente sous le comptoir». Il s'agirait pour les buralistes de ne plus exposer leurs produits, mais de les mettre à l'abri des regards, tout en les délivrant à la demande, «ce qui limiterait les tentations publicitaires»**.
«Prenons garde des opérations ponctuelles, spécifiquement ciblées en direction des jeunes, ça ne fonctionne pas», dit au « Quotidien » le Pr Gérard Dubois, président d'honneur d'ACT. «En revanche, l'augmentation de 40% des prix du tabac en trois temps, au cours de l'année 2003, apparaît exemplaire, tient à faire remarquer le professeur de santé publique au CHU d'Amiens. Elle a fait passer le niveau de tabagisme des 17-18ans de 40% à 30%, ce qui les place dans la moyenne européenne. L'heure est venue de procéder, d'ailleurs, à de nouvelles hausses des taxes sur les cigarettes–10% par an suffiraient– puisque le gel fiscal de quatre ans conclu entre Raffarin et les buralistes début 2004 a pris fin en décembre. D'autres actions ayant montré une réelle efficacité mériteraient d'être déclinées de nouveau sous des formes similaires. Je pense à « Toxic Corp », pastiche d'un cigarettier, mis en scène par l'Institut national de prévention et d'éducation sanitaire (INPES), avec le concours d'ACT». Un spot TV, en 2006-2007, appelait au recrutement de fumeurs, l'entreprise voyant mourir un à un ses clients... de tabagisme. «Son côté décalé, s'inscrivant dans la dénormalisation de l'industrie tabacole, a porté ses fruits, même chez les jeunes.» Quelques années plus tôt, la campagne «Révélation» (2002), toujours signée par l'INPES, connaît un même succès, attaquant de plein fouet les industriels. «Nous avons décelé dans un produit de grande consommation des traces d'acide cyanhydrique, de mercure, d'acétone et d'ammoniaque», disait un message renvoyant à un téléphone où l'on apprenait que le tabac se trouvait en cause, lors de sa combustion. Le décret d'interdiction de fumer dans les lieux publics (15 novembre 2006), appliqué en février 2007 dans les entreprises puis en janvier 2008 dans les bars et restaurants, participe également d'initiatives pertinentes touchant les fumeurs, y compris dans la jeunesse, commente en substance Gérard Dubois. Au cours du premier trimestre de l'année en cours, les ventes de tabac ont diminué, de ce fait, de 5 %. Enfin, on sait que le remplacement à terme des avertissements sanitaires par des images chocs –comme l'autorise l'Union européenne –, annoncé par le ministère de la Santé, devrait aller dans «le bon sens». La Belgique et la Grande-Bretagne viennent de décider les premiers d'emboîter le pas au Canada et au Brésil, précurseurs en la matière. «Il n'est qu'à imaginer la réaction d'une jeune fille invitée à la table d'un café par un garçon, qui sort de sa poche un paquet où figure une cigarette à la forme évocatrice, accompagnée de ces quelques mots “Le tabac provoque l'impuissance”.»
D'ici à 2020, l'Organisation mondiale de santé estime que le tabagisme sera la principale cause de décès et d'incapacité. Il entraînera alors plus de décès sur la planète que le sida, la tuberculose, la mortalité maternelle, les accidents de la route, les suicides et les homicides combinés.
* Act, créée en 1992, regroupe une trentaine d'organisations.
** La vente sous le comptoir devrait voir le jour prochainement au Canada et en Australie.
1,3 milliard de fumeurs
Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (« BEH » n° 21-22) consacre un numéro thématique à la Journée mondiale sans tabac 2008 : « Le tabac, une des principales causes évitables de maladie et de mortalité dans le monde ». Malgré ces effets connus sur la santé, près de 1,3 milliard de personnes fument dans le
monde. Environ 150 millions de morts pourraient être imputables à la consommation directe ou indirecte de tabac pour la période 2000-2024 si la tendance actuelle persiste.
«Le tabagisme est à l'origine de 22% de la mortalité liée aux maladies cardio-vasculaires en Europe et en Amérique du Nord.»
Une prévention plus ou moins efficace
Le concours «Classes non fumeurs» (CNF)mis en place en 1997, pour la période novembre-mai, rassemble 750 000 jeunes européens de 11-14 ans, dont 1 450 Français, au sein de 30 000 classes. Celles-ci peuvent gagner des cadeaux par tirage au sort, si elles ont moins de 10 % d'élèves fumeurs au mois de mai. Paris Sans Tabac constate que les participants à CNF fument jusqu'à quatre fois moins à 14 ans que les autres.
L'interdiction de vente au moins de 16ans (loi du 24 juillet 2007, arrêté de septembre 2004) : dans 74 % des cas, les débitants de tabac acceptent de vendre à un jeune de moins de 16 ans, et 58 % des 12-16 ans n'ont pas connaissance de l'interdiction (sondage CNCT). Pourtant, au sein de l'Union européenne, les pays où les jeunes fument le moins appliquent la prohibition de la vente aux moins de 15 ou de 16 ans (étude HelpComETS)*
* Toutes ces données sont consignées par l'Alliance contre le tabac en Île-de-France (ACTIF).
Les tendances observées
Reprise du tabagisme chez les collégiens– Alors qu'à 12 ans le tabagisme quotidien reste inférieur aujourd'hui à ce qu'il a été de 2004 à 2007, il devient supérieur à 13-18 ans, l'augmentation la plus forte concernant les 14-15 ans. Toutefois, la consommation demeure globalement plus basse qu'entre 1991 et 2003, souligne une étude représentative de la situation nationale, conduite par l'association Paris Sans Tabac (PST) avec la CPAM et le rectorat de l'académie. Cette reprise du tabagisme des jeunes s'expliquerait, entre autres, par les cigarettes parfumées et la chicha, «cibles» des très jeunes consommateurs. à 13 ans, les «Pink Elephant» (rose) pour les filles et les «Black Devil» (noir) destinés aux garçons sont les marques les plus vendues. Plus d'un tiers des fumeurs en achètent (5 % à 15 ans).
Baisse parmi les étudiants– En 2005, on compte 18 % de fumeurs quotidiens à 18 ans et 40 % à 24 ans, ces taux passant à 15 %/24 % en 2006 et 15 %/21 % en 2007 (enquête « ACTIF » dans dix universités parisiennes auprès de 53 000 étudiants). à propos du cannabis, qui se fume mélangé au tabac, environ 15 % en font usage, dont moins de la moitié tous les jours. Ils sont six fois moins nombreux à vouloir arrêter que les fumeurs de cigarettes très majoritairement disposés à envisager l'abstinence (enquête Cannafac).
61% des domiciles de fumeurs vivant en couple sans fumée: chez les couples avec enfants, ce taux atteint 81 % (enquête « ACTIF »).
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