« Les Invasions barbares », de Denys Arcand

Pour rire et pleurer

Publié le 22/05/2003
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SPECIAL CANNES

En 1987, Denys Arcand annonçait « le Déclin de l'empire américain », avec un film mêlant préoccupations politiques, amoureuses et sexuelles. Aujourd'hui, le cinéaste, qui a à peu près l'âge de ses personnages, les fait se retrouver pour un bilan de l'état du monde (nord-américain) et surtout de leur vie. Et c'est tout sauf sinistre.

Cela commence dans un hôpital surpeuplé de Montréal : des malades partout dans les couloirs, une attente de 6 mois pour une TEP, une administration qui récite les textes officiels et des syndicats qui font la loi à leur profit. On voit que le réalisateur n'a pas perdu son œil critique, la suite le confirmera.
Mais on n'est pas là seulement pour dénoncer les errements du gouvernement canadien. On est là au chevet de Rémy, en train de mourir. Et de mourir seul. Son ex-femme appelle leur fils, qui réussit très bien dans la finance, à Londres. Et celui-ci, malgré les incompréhensions passées, va tout faire pour adoucir la fin de son père, en particulier amener à son chevet les amis, amours, maîtresses du passé.
Rémy, qui se qualifie de « socialiste voluptueux » par opposition à son fils vu comme « un capitaliste ambitieux et puritain », ne veut pas mourir, il aime trop la vie ; il regrette tout ce qu'il n'a pas fait, le livre qu'il n'a pas écrit, les voyages qu'il n'a pas accomplis, les élèves (il est professeur d'histoire) qu'il n'a pas convaincus... et les cuisses d'Ines Orsini qui lui ont offert ses premières émotions cinématographiques, dans les années soixante. Le temps de la jalousie est passé, pas celui des discussions plus ou moins vaines mais tellement stimulantes : quel siècle a été le plus meurtrier, quelle a été la plus grande réunion d'intelligences, pourquoi Dieu existerait-il... ?
« Ce film raconte l'histoire de ma vie et celle de mes amis », disait Arcand à propos du « Déclin ». Il fait à nouveau passer dans les dialogues et la mise en scène au plus près de ses acteurs une grande vérité humaine. Impossible de ne pas être ému, même si cette réunion familiale et amicale apparaît trop belle pour être vraie. Impossible non plus de ne pas rire de cette réflexion pourtant désespérée.
Rémy Girard a le beau rôle de celui qui meurt. Dorothée Berryman, Pierre Curzi, Yves Jacques, Louise Portal, Dominique Michel sont aussi savoureux qu'il y a deux décennies. Stéphane Rousseau (surnommé « le Brad Pitt de l'humour » et qu'on a pu applaudir il y a deux ans au Bataclan à Paris), Marie-Josée Croze, Marina Hands représentent dignement la nouvelle génération.
Et les invasions barbares ? L'empire américain est touché le 11 septembre. « Je crois que les pays sont en train de disparaître, dit Arcand. Pour les générations futures, les frontières auront tendance à disparaître. Le fils de Rémy est déjà rendu là. Il y aura les citoyens américains et les autres. Vu de Washington, être Français, Bulgare ou Japonais, c'est la même chose, tous des barbares. » Cela se discute. De quoi fournir au Québécois l'inspiration d'un autre film savoureux et poignant.

Renée CARTON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7340