Qu'un homme célèbre vienne à décéder (Victor Hugo, Beethoven, Anatole France, Marat, Napoléon), on s'empresse de fixer, dans le plâtre, le masque mortuaire. On fait venir dessinateurs, mouleurs et, à partir de 1840, photographes, et il s'établit même un commerce d'effigies. C'est le panthéon des célébrations.
La diversité est grande (hommes politiques, artistes), sans constituer pour autant une anthologie exhaustive.
Les fervents de Chateaubriand, Chopin, Gide, Edith Piaf, Cocteau, Rodin, Liszt, Malher, Soutine, Verlaine, Wagner peuvent tenter de déchiffrer les traits, souvent déformés par le travail fulgurant de la mort, sur le visage de celui qu'ils admirent, s'inventant ainsi une rencontre posthume qui est souvent aussi l'unique, mais éprouvant alors l'émouvant plaisir d'affronter le génie jusque dans sa chute physique, alors même que s'amorce la carrière de la postérité.
Avec Géricault, dans le pathétique réalisme du relief, et Proust, dans la sérénité retrouvée, saisie par l'admirable maîtrise de Man Ray.
Il y a des manques, des béances, dans la chronologie, et le XIXe siècle semble avoir été particulièrement sensible à cette pratique. Pourtant, il existe quelques exemples, comme le saisissant masque de Pascal, unique effigie de celui en qui s'incarne le génie à l'état pur.
Un défi à la mort
La tradition du portrait mortuaire est aussi liée au cérémonial des funérailles de nos souverains. L'usage voulait qu'au corps lui-même on substitue l'effigie (une « feinte » disait-on), afin de nier la victoire de la mort sur le corps d'un personnage qui incarnait un pouvoir, une force sacrée, et surtout permettre une exposition rituelle prolongée quand le travail de la décomposition du corps ne l'aurait pas permis.
Cette exposition d'un substitut prend un relief singulier avec la cérémonie des funérailles solennelles de Marat dans l'étouffante chaleur d'un juillet révolutionnaire, quand le corps, déjà décomposé, était camouflé par son double, imaginé par le peintre David, grand maître de cérémonie.
Au masque relevé sur le visage par d'habiles mouleurs s'ajoutent les portraits exécutés dans l'intimité du mourant, par des artistes que l'intensité du moment réveille, jouant, à en croire Monet (peignant sa jeune femme Camille sur son lit de mort), sur un « réflexe » où la passion du peintre l'emporte sur la pudeur de l'homme du commun.
Un artiste, mieux armé que quiconque pour trouver le ton le plus juste, peut ainsi s'attarder à fixer les traits de son épouse, de sa mère (Ary Scheffer, James Ensor), de sa sur (Henner), de sa tante (Seurat).
Il y a l'exemple particulièrement émouvant de Ferdinand Hodler dont l'amie Valentine Godé-Darel, atteinte d'un cancer, connaît une longue agonie. Le peintre exécute plus de 200 uvres, toutes datées, qui constituent le journal tendre et pathétique de cette lente descente dans le néant.
La pratique de l'art est encore ici un défi à la mort.
« Le Dernier Portrait ». Musée d'Orsay. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 h à 18 h, le jeudi, de 10 h à 21 h 45, et le dimanche, de 9 h à 18 h. Jusqu'au 26 mai. Entrée tarif unique musée + exposition : 7 euros. Tarif réduit 5 euros.
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