Le Généraliste : Quels sont les différents types d’études menées en nutrition ?
Pr Serge Hercberg : On commence souvent par des études sur modèles cellulaires, puis sur animaux, sur des personnes malades et enfin en population générale. Les études cas témoins permettent de comparer l’alimentation des personnes qui ont développé une certaine maladie à celle des autres sujets de l’étude. Les études prospectives, appelées aussi études de cohorte ou de population, qui observent ce qui se passe avant que la maladie ne se déclare, ont plus de valeur. L’idéal est de combiner plusieurs études de cohorte.
Quant aux études d’intervention, destinées à tester le rôle d’un aliment ou d’un nutriment particulier versus placebo, elles sont difficiles à mettre en place. Pour que le niveau de preuve soit suffisant, il est nécessaire de combiner les résultats de plusieurs études.
Quel niveau de preuve est nécessaire pour donner des conseils nutritionnels à la population ?
Pr S.H. Les études de cohorte doivent être suffisantes en taille et en durée et couvrir si possible différents types de population (anglo-saxon, latin…), mais ne doivent pas obligatoirement être représentatives de la population générale (cf les études américaines sur les infirmières, les électriciens de Chicago…) Il est important de s’assurer de la plausibilité biologique de leurs résultats.
Pour analyser l’impact de l’alimentation sur une maladie fréquente, comme le cancer tous sites confondus, il suffit d’inclure quelques dizaines de milliers de personnes. Si l’on s’intéresse à un certain type de cancer, il faut au moins 200 000 personnes. Toutes les grandes revues internationales vérifient d’ailleurs la puissance et la qualité de l’analyse statistique avant de publier une étude.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’étude sur laquelle on peut s’appuyer ?
Pr S.H. Le travail mené par le World Cancer Research Fund, dont les résultats ont été publiés en 2007 et diffusés en France par l’Inca en 2009, permet de tirer des conclusions, grâce à une méthodologie d’analyse fiable des études portant sur l’impact de certains aliments sur les différents types de cancer. Sur 70 000 articles recensés, 7 000 ont été considérés comme valides et analysés par 200 chercheurs et un panel de 21 experts à travers le monde. Grâce à ce type d’étude, on sait aujourd’hui que l’alimentation peut diminuer de 25 à 30 % le risque de cancer, ce qui est considérable. Aucun médicament n’a un impact aussi important…
Est-il nécessaire de définir à l’avance ce que l’on veut démontrer ?
Pr S.H. Il est important d’avoir des hypothèses de départ sur le rôle de certains aliments ou nutriments sur les grandes maladies, mais on peut ensuite revenir sur la base des données collectées pour réaliser d’autres analyses. Il y a le parcours imposé et le parcours libre… Comme en patinage artistique !
Quelles sont les principales erreurs à éviter dans l’interprétation des études nutritionnelles ?
Pr S.H. Il faut se garder de tirer des conclusions à partir d’une seule étude, surtout si elle est limitée. L’extrapolation peut être dangereuse… Après la « mode » des anti-oxydants et, notamment du bêta-carotène, diverses études aux Etats-Unis et en Finlande, tout comme l’étude Suvimax en France, ont montré que leur consommation sous forme de compléments alimentaires à forte dose augmentait le risque de cancer de la prostate et du poumon chez des populations à risque. D’une manière générale, appuyons-nous sur les recommandations internationales officielles et les conclusions des comités d’experts et méfions-nous des "gourous" et des opinions personnelles, qui n’ont aucune valeur.
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