Livres
On a beau être journaliste et diriger pendant près de vingt ans l'un des magazines les plus fameux en son temps, « L'Express », on n'en est pas moins homme, et, pire dans le cas de Françoise Giroud, femme. La professionnelle à l'écoute du monde, qui s'est fait le porte-parole et l'analyste des plus grands politiques, était aussi un être soumis à des désirs et à des doutes qui lui venaient de son passé et avec lesquels elle a dû composer, avec plus ou moins de bonheur, toute sa longue vie. D'où le portrait en camaïeu qui se dessine dans le livre et laisse percer, sous les dehors affables et souriants de l'héroïne, une professionnelle à la poigne de fer et une femme qui ne refusait pas l'empoigne.
Ce n'est pas l'image que Françoise Giroud a souhaité donner d'elle durant sa vie, et l'on sait comment, de livre en livre, elle a pris de soin à se raconter, à prendre les devants pour « tout » dire de son parcours, de son monde, de ses amours.
Est-ce trahison et vilenie de la part de Christine Ockrent - qui lui succéda, à des années de distance, à la tête de « L'Express », avant d'en être écartée à son tour - de retoucher ce portrait sans faille ? On ne le croit pas car la « reine Christine » n'a pas fait ses classes auprès d'elle et ne lui doit rien ; elle ne cache pas par ailleurs le respect, l'admiration, l'affection même qu'elle voue à son modèle.
Elle ne s'engage d'ailleurs pas trop dans cette biographie qui repose sur des conversations intervenues, de loin en loin, au cours de la quatre-vingt-sixième et dernière année de la vie de Françoise Giroud et surtout de témoignages multiples d'hommes et de femmes qui ont travaillé avec elle ou qui l'ont approchée. Toujours grande dame, Françoise Giroud n'avait pas demandé à relire le texte mais avait souhaité qu'il ne paraisse pas de son vivant.
Les titres des chapitres éclairent à eux seuls sur les multiples facettes de sa personnalité : « la Patronne », « la fille », « l'apprentie », « l'amante », « la fondatrice »,« la répudiée », « la ressuscitée », « la ministre », « la mère », « l'écrivain », « l'initiatrice », « l'icône ». toutes soutenues par un travail intense et constant, et par une devise : « Se tenir et ne pas donner prise. Toujours tirer la première. »
Une tueuse, Françoise Giroud ? Certes, pendant plus d'un demi-siècle, elle a usé de sa plume pour juger et jauger ses contemporains, « les griffant volontiers de formules peaufinées, rarement gratuites », estime sa biographe. Mais aussi, c'est elle qui, par deux fois, à cause du désamour d'un homme, a tenté de se donner la mort.
Pionnière du journalisme, elle n'a pas brillé et perduré dans ce milieu machiste de ce milieu du XXe siècle sans le moteur premier et indispensable de la passion - Christine Ockrent souligne bien qu'elle s'intéressait plus aux êtres qu'aux concepts -, la même passion mais cachée qui l'a guidée dans sa vie de femme.
Editions Fayard, 363 p., 20 euros.
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