O N aurait pu les croire heureux, ces cyclistes choyés par la Mairie de Paris. Sur près de sept kilomètres, des couloirs de bus « sécurisés » ont été mis en service dans la capitale. Banquettes ou bordurettes ont été installées sur quelques grands axes de circulation : la rue de Rivoli, les boulevards de Sébastopol et de Strasbourg, les quais rive Gauche. D'un côté, les voitures et les motos ne peuvent circuler que sur deux files (au lieu de trois), de l'autre les cyclistes côtoient taxis et bus.
Après avoir abandonné, durant les deux mois d'été, les voies sur berge aux cyclistes, piétons et rollers, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, réitère sa volonté de développer les modes de circulation non polluants. Un Don Quichotte au pays des voitures. Malheureusement, le résultat ne semble même pas satisfaire les intéressés. Coincés entre les trottoirs et les bus, respirant l'air de leurs pots d'échappement, les cyclistes doivent livrer bataille pour franchir les carrefours et éviter les assauts des voitures.
Cyclistes et rollers en danger
Bertrand Delanoë n'avait pas caché son intention, avant le deuxième tour des élections municipales, d'engager un nouveau partage de l'espace, notamment par l'aménagement des grands axes parisiens en « espaces civilisés ». « L'idée est bonne, concède le Pr Michel Aubier, chef de service de pneumologie à l'hôpital Claude-Bichat, auteur d'une étude sur la pollution atmosphérique due aux transports urbains. Mais l'aménagement des voies a été réalisé trop précipitamment. On essaye de décourager les automobilistes alors que les transports urbains ne sont pas encore suffisamment adaptés. C'est mettre la charrue avant les bufs, estime-t-il. Par ailleurs, je trouve que mettre les cyclistes dans les couloirs de bus est plutôt dangereux, d'autant que le parc de la RATP est loin d'être totalement propre. Pour bien faire, il aurait fallu consacrer des couloirs aux cyclistes. »
Pour le Dr Philippe Ailleres, chef du service des urgences à l'hôpital Léopold-Belland, la multiplication des obstacles dans la ville constitue un réel danger pour les cyclistes et les rollers. « Nous avons déjà soigné un roller pour une fracture bimaléolaire de la cheville. Les plaies au tibia, à la cheville ou au bras vont se multiplier. Mais on risque plus grave, prévient-il. Si nous n'avons pas eu encore d'accident mortel à déplorer, il est évident que cela peut arriver. » Le Dr Patrice Pelloux, qui préside l'Association des médecins urgentistes de France, confirme. Selon lui, « la signalisation muret » ferait déjà un accidenté par jour. « Les urgences sont un thermomètre de santé publique », rappelle-t-il, tout en reconnaissant que « faire de l'aménagement urbain n'est pas chose facile ».
Décès évitables
Le remède serait-il donc pire que le mal ? La mise en place de couloirs de bus sécurisés à Paris s'inscrit, se défend la mairie de Paris, dans une « volonté de rééquilibrage » et répond à la nécessité, « dans une ville où la pollution constitue un grave enjeu de santé publique », de « poser enfin des actes ». Dans un communiqué, la mairie de Paris indique que, d'après « une étude publiée en 1998 par l'Observatoire régional de santé*, de 260 à 350 décès par an sont liés directement à ce fléau urbain dans la capitale ». Du côté de l'Observatoire régional de santé, on tient toutefois à tempérer cette affirmation. « On ne meurt pas de pollution. Mais on peut effectivement noter une augmentation des décès évitables chez des personnes déjà atteintes » de maladie cardio-vasculaires ou d'affections respiratoires, par exemple.
De multiples facteurs
L'impact de la pollution automobile sur la santé est difficilement calculable. Pour les patients à risque, les effets à court terme sont connus (bronchiolites, toux, etc.). « En fait, les symptômes, comme les toux chroniques, sont plus souvent relevés chez les asthmatiques les moins sévères, car ce sont ceux qui n'ont pas de traitement de fond, explique le Pr Michel Aubier. Mais beaucoup d'interrogations demeurent quant aux effets à long terme. Certes, les maladies environnementales, comme l'asthme, augmentent mais nous n'avons pas la preuve que cette augmentation générale est liée à la pollution extérieure urbaine. Beaucoup d'études laissent penser qu'elle est multifactorielle et plutôt liée à un mode de vie occidental », avec, par exemple, le développement de la climatisation et le manque de ventilation des appartements.
Face à la palpable pollution extérieure, les polluants de l'air intérieur, plus incolores, sont fortement suspectés. « Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme, estime le Pr Aubier. Je ne dirai pas que la pollution atmosphérique est un problème majeur de santé publique. L'air des villes est aujourd'hui sans doute moins pollué qu'il y a vingt-cinq ans, avec la délocalisation des industries et l'abandon du chauffage à charbon. Ce n'est plus seulement la pollution atmosphérique qui dérange la population actuellement. C'est aussi la pollution par le bruit, par l'encombrement. »
Pédiatre exerçant rue de Rivoli, le Dr Claude Boralevi, qui vient de rentrer de vacances, ne semble pas plus perturbé que les autres jours par la mise en place des banquettes. « De toute façon, je suis toujours bloqué dans la circulation, dit-il. Et en ce qui concerne la pollution atmosphérique, je n'ai constaté aucun changement. Mais d'une manière générale, pour les enfants, je sens beaucoup plus l'impact de l'humidité et de la fréquentation de la crèche que celui de la pollution. »
La journée sans voitures du 22 septembre marquera un autre temps fort dans le combat que mène la municipalité contre la circulation automobile. Cette opération, lancée en 1998 par le ministère de l'Environnement, aura, à Paris, « une ampleur sans précédent », promet Bertrand Delanoë.
* D'après le programme « Erpurs » consacré à l'évaluation des risques à court terme pour la santé liés à la pollution atmosphérique en Ile-de-France pour les périodes 1987-1992 et 1991-1995.
Le centre de Paris rendu aux piétons pour un jour
Pour la quatrième année consécutive, la journée « En ville sans ma voiture » aura lieu samedi 22 septembre. A Paris, le centre (1er, 2e, 3e, et 4e arrondissements) sera totalement interdit aux voitures, ainsi qu'une partie des 5e, 6e, 7e, 9e, 10e et 11e arrondissements. Les périmètres de l'opération couvriront plus du quart de la surface de la capitale. Des périmètres locaux sont également instaurés vers la butte Montmartre, le bassin de la Villette, les bois de Boulogne et Vincennes. Dans ces zones, les deux-roues et véhicules seront interdits de 7 à 19 heures. La RATP, partenaire de cette opération, devrait renforcer ses services de métro, bus et RER, et dans les bois, installer provisoirement des navettes. Des vélos pourront être loués dans plusieurs sites, notamment place de l'Hôtel-de-Ville et place de la Bourse. « La démarche de la municipalité est pédagogique, explique Denis Baupin, adjoint Vert au maire de Paris. Il s'agit pour nous de tenter d'opérer un changement culturel dans l'esprit des gens en leur montrant qu'il existe des moyens de transports alternatifs. » La préoccupation majeure de la Mairie de Paris porte sur la qualité de l'air.
« Forte de ses succès précédents, la journée "En ville sans ma voiture" prendra une ampleur internationale qui témoignera du chemin parcouru depuis le lancement, en 1998, d'une initiative française devenue européenne en 2000, avec la participation de 760 villes dans 26 pays », souligne-t-on sur le site Internet du ministère de l'Environnement. En août dernier, 629 villes françaises et étrangères avaient signé la charte « En ville sans ma voiture ».
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