Le 4 décembre dernier, François Hollande annonçait la reconduction du plan cancer. Après Jacques Chirac en 2003 et Nicolas Sarkozy en 2008, le nouveau chef de l’État choisit lui aussi d’apposer sa marque sur le domaine de l’oncologie.
Nouvelle hypermédiatisation, nouvelle incarnation présidentielle. Ces dix dernières années, la santé publique a adopté un nouveau visage. Les choix nationaux comme le plan cancer ou le plan alzheimer concourent à présenter la politique nationale de santé comme la résultante d’une stratégie concertée et priorisée. Et pourtant. L’accumulation d’une trentaine de plans de santé, de grandes causes nationales et de la centaine d’objectifs de santé publique définis par la loi éponyme de 2004, interroge : l’ensemble est-il cohérent ?
Accumulation n’est pas priorisation
« La politique nationale de santé doit répondre à des objectifs contradictoires », reconnaît Alain Lopez, inspecteur général des affaires sociales. Si elle doit fixer des axes prioritaires, tout en continuant à s’adresser à tous, et sans abandonner certaines problématiques. « Aujourd’hui, comme le montre la loi de santé publique de 2004, la politique n’est que la résultante de cette accumulation d’objectifs et de plans. Mais cela revient finalement à ne pas afficher de véritable choix », explique-t-il.
En clair, lorsque les plans s’accumulent, il n’y a plus de chemin véritablement tracé. À défaut, les efforts se dispersent, les moyens s’éparpillent, et l’absence de concertation empêche toute mutualisation ou cohésion globale. Quel message est alors délivré ? Quels sont les objectifs d’un gouvernement ? « Il ne faut pas renoncer à une méthode de priorisation, mais il faut repenser l’architecture qui va avec », poursuit Alain Lopez. Et sur cette question, l’actuel gouvernement doit plonger les mains dans le cambouis. Conformément au discours de politique générale formulé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault devant les parlementaires, le gouvernement a annoncé le 16 janvier dernier son souhait de relancer un processus de définition d’une stratégie nationale de santé pour les prochaines années.
Un programme en rade depuis 2009
Une intention louable : la précédente politique de santé publique est obsolète depuis 2009 ! Celle-ci était définie par la loi de santé publique de 2004, qui proposait une approche programmée et coordonnée à travers une liste d’objectifs. À l’issue de sa programmation quinquennale, le gouvernement de l’époque n’a pas relancé la machine. 2013 sera dont l’année d’une nouvelle politique de santé publique pour la France. Un comité de sages doit être constitué prochainement à l’initiative du gouvernement pour dresser les grandes lignes de la politique à mettre en oeuvre.
La ministre de la santé Marisol Touraine l’a indiqué : la stratégie qui sera adoptée apportera un rééquilibrage entre l’attention portée aux soins et celle portée aux déterminants de santé. Pour Éric Breton, titulaire de la chaire Inpes promotion de la santé à l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), cette évolution est cruciale : « On sait aujourd’hui que les inégalités sociales ont un poids majeur sur la santé. Les facteurs de risque comme le tabagisme ou la nutrition épargnent une partie de la population, mais s’accumulent au sein de certaines catégories socioprofessionnelles. En conséquence, les plans ne doivent plus être essentiellement centrés sur le médical, mais doivent aussi intégrer le niveau social. »*
Mettre les inégalités au cœur des décisions
Cette évolution est dans l’air du temps. Des plans de santé récents, comme le plan cancer ou le plan national santé environnement, ont intégré la réduction des inégalités parmi leurs objectifs, mais cela reste insuffisant. Le Haut Conseil de la santé publique l’a notamment démontré pour le plan cancer. Le bilan à mi-parcours qu’il en a dressé souligne le manque de réussite dans ce domaine. Éric Breton explique : « Dans ces programmes, les objectifs qui s'attachent aux questions sociales sont souvent reliés à des aspects de dépistage ou de diagnostic, c’est-à-dire lorsque la traduction de ces inégalités est déjà effective sur le plan médical. Il faut remonter cette chaîne en fixant des objectifs bien en amont, dès le stade de la prévention. »
Comment changer cette donne ? « La politique de santé ne doit plus ressembler à une liste de courses. C’est une démarche dépassée qui écarte le poids des déterminants de santé sur le bilan tiré à partir d’une population, explique Éric Breton. Il faut maintenant une politique transversale dans laquelle tous les secteurs se saisissent de l’enjeu de la santé. Les questions des transports, de l’emploi, du logement... sont ainsi autant de domaines qui impactent à terme la santé des populations. Ce sont autant de questions autour desquelles il faut amener les décideurs à penser autrement leurs décisions. » Difficile d’imaginer une mutation du modèle historique sans une véritable volonté politique. « La clé, c’est l’intersectorialité », résume-t-il. La santé, loin de rester dans le carcan d’un ministère de la Santé, verrait son avenir aux mains des multiples portefeuilles ministériels. De quoi rendre véritablement effectives des cellules transversales pilotant toutes ces actions.
L’innovation est locale
Mettre en place un tel fonctionnement peut apparaître comme une gageure en France. Si ce type d’approche a réussi à prendre dans des pays comme la Norvège ou le Québec, c’est d’abord parce que leur organisation est historiquement déconcentrée. Nous en sommes loin. Certes, la régionalisation de la politique de santé est lancée à travers les agences régionales de santé (ARS) et leur plan régional de santé publique (PRSP), mais la mutation est encore embryonnaire. Et l’évolution des modes de pensée aussi. « L’innovation est maintenant au niveau local. Il faut désormais faire remonter les initiatives issues du terrain au niveau national pour pouvoir capitaliser sur les enseignements qu’ils apportent », explique Éric Breton.
Pour Alain Lopez, la pertinence de cet échelon régional devrait se traduire par une mise à disposition de moyens adéquats : « À coté des grandes lignes définies au niveau national, les ARS devraient avoir une marge de maneuvre suffisante pour les appliquer aux particularités rencontrées localement. Le tout serait articulé avec les autorités centrales via le Conseil national de pilotage, dont le rôle n’est pas aussi étoffé aujourd’hui. »
Loin de nécessiter de nouvelles instances, la politique nationale de santé publique pourra trouver dans les structures déjà en place tout ce qu’il faut pour être à la fois mieux construite et mieux pilotée. Ne manque plus qu’une redéfinition de certains périmètres d’action. Et une réelle volonté politique.
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