EN OUVERTURE DE la 15e Conférence sur le sida, organisée dans l'immense centre de conventions situé à 40 km de Bangkok, le secrétaire général de l'Onu a donné le ton : « Nous devons faire bien mieux sur plusieurs fronts ». Après Durban en 2000 et Barcelone en 2002, la Conférence de Bangkok se situe à un moment clé de la pandémie. Alors que l'Afrique subsaharienne continue à être sinistrée, la pandémie menace l'Europe de l'Est et l'Asie. « Les nations asiatiques sont confrontées à un choix. Elles doivent agir maintenant ou payer la note plus tard », a d'ailleurs ajouté le secrétaire général de l'ONU. Dans ce domaine, la Thaïlande fait figure d'élève modèle pour sa rapidité à réagir contre la rapide propagation des années 1980 (90 % des professionnelles du sexe utilisent un préservatif et le nombre de leurs clients s'est réduit de moitié) ; cependant « seule une minorité de gouvernements et de communautés du continent le plus peuplé du monde a démontré, jusque-là, avoir le courage et la prescience nécessaires pour protéger ses citoyens de la propagation de l'épidémie », note un rapport du réseau international de surveillance de la pandémie du sida.
Quelque 7,4 millions de personnes sont séropositives ou malades en Asie. La Chine, qui a envoyé à Bangkok une délégation de 500 personnes, compte officiellement 840 000 séropositifs. Le gouvernement a lancé depuis l'année dernière un programme de soins gratuits en Chine centrale où au moins 250 000 personnes ont été contaminées en vendant leur sang, mais seulement un peu plus de 700 000 en bénéficient à ce jour. Par la voix de son Premier ministre, Wen Jiabao, la Chine s'est engagée à « faire de la santé et de la protection de la vie de sa population sa priorité numéro un ». Représentée par Sonia Gandhi, présidente du Parti du Congrès, l'Inde, qui est, avec 5,1 millions de séropositifs, le deuxième pays le plus touché après l'Afrique du Sud, s'est également engagée à « faire beaucoup plus » contre l'épidémie. Selon Kim Hak-Su, secrétaire exécutif pour l'Asie-Pacifique d'Onusida, si elle veut renverser la tendance, la région devra « multiplier ses dépenses par au moins 25 par rapport aux 400 millions de dollars actuellement fournis par le secteur public ».
Une facture élevée.
En dépit d'une arrivée significative des ressources, les financements restent insuffisants et la facture risque d'être plus élevée que les 20 milliards de dollars par an que l'Onusida juge nécessaires à l'horizon 2007. « L'argent est là, ce que nous n'avons pas c'est la volonté des pays de diriger les fonds vers les actions de lutte contre le sida », a déclaré, pour sa part, Jean-François Richard, vice-président pour l'Europe de la Banque mondiale, notant que 900 milliards de dollars sont affectés chaque année aux dépenses militaires dans le monde et 350 milliards aux subventions agricoles.
Xavier Darcos, ministre français délégué à la Coopération, a lu un discours de Jacques Chirac, qui a appelé à « assurer la pérennité des financements du Fonds mondial » et s'est prononcé en faveur d'une augmentation « de ses ressources à hauteur de 3 milliards de dollars par an, en répartissant cet effort entre l'Europe, les Etats-Unis et l'ensemble des autres donateurs. » Environ 900 millions de dollars ont déjà été affectés au Fonds qui reste aujourd'hui la plus grande initiative multilatérale de collecte de financements pour la lutte contre l'épidémie. La France a triplé en 2004 sa contribution en la portant à 150 millions d'euros par an. L'Union européenne a promis 900 millions de dollars contre 547 pour les Etats-Unis. Le secrétaire général de l'Onu les a appelés à s'engager aussi vigoureusement contre le sida qu'ils le font dans leur « guerre contre le terrorisme » et a demandé aux deux blocs de porter leur contribution au Fonds à un milliard de dollars par an.
Consolider la baisse de prix.
La polémique porte notamment sur les génériques. Dans les premiers jours de la conférence, une organisation américaine intitulée « Le projet responsabilité du sida », dont le fondateur n'est autre que Abner Mason, un des 35 conseillers sur le VIH/sida du président George Bush, s'est vivement attaquée aux fabricants de génériques que sont l'Inde, la Thaïlande et le Brésil. Dans une publicité pleine page achetée dans le quotidien « Bangkok Post », le groupe affirmait : « Les malades du sida dans le monde méritent des possibilités de traitements sûres, efficaces, abondantes... Pas de faux espoirs et de la fausse médecine. »
Au nom du président Chirac, Xavier Darcos a rappelé que la France souhaitait que soient mis au point « des médicaments adaptés aux conditions spécifiques des pays pauvres, comme les combinaisons d'antirétroviraux dans un seul comprimé. » Elle est aussi favorable à la mise en œuvre de « l'accord sur les génériques, afin de consolider la baisse de prix », ajoutant dans une allusion aux Etats-Unis : « Obliger certains pays à renoncer à ces dispositions, à la faveur de négociations commerciales bilatérales, relèverait d'un chantage immoral. »
« Il n'y a pas de tension entre la France et les Etats-Unis, mais la France ne souhaite pas que les pays du Sud se lient les mains par des accords bilatéraux », a précisé Mireille Guigaz, ambassadrice française chargée du dossier sida. A Bangkok, la tension était pourtant palpable. La délégation américaine ne comptait que 50 personnes. En l'absence des chercheurs du Center for Disease Control (CDC) et du National Institute of Health (NIH), de nombreuses présentations scientifiques n'ont pu être faites. Joep Lange, président de l'IAS (International Aids Society), société organisatrice de l'événement, l'a déploré : « Les Etats-Unis sont le plus grand acteur dans la recherche sur le VIH/sida et le seul pays dans le monde qui mette assez d'argent dans la recherche. Nous voulons qu'ils reviennent. »
Il faut être tous unis contre la pandémie, a exhorté l'ancien président sud-africain, Nelson Mandela. Dans un discours très applaudi, il a appelé les gouvernements, chaque fondation et « chaque citoyen du monde » à apporter « argent, courage et leadership » à la lutte. « Pour la première fois, il y a une possibilité réelle de venir à bout de l'épidémie », a affirmé le directeur de l'Onusida, Peter Piot, dans le discours de clôture. « Nous avons combattu très dur pour l'argent. Luttons dorénavant aussi fort pour rendre cet argent efficace », a-t-il notamment ajouté. La 16e conférence, qui se tiendra à Toronto (Canada) en 2006, dira si l'appel à l'union, à « laisser derrière les drapeaux », a été entendu.
Elargir l'accès aux tests de dépistage
L'OMS, l'Onusida et GBC (Global Business Coalition), une coalition de 150 entreprises, ont mis l'accent sur la nécessité d'un élargissement de l'accès aux tests. Plus de 90 % des personnes vivant avec le virus ignorent leur infection. Pour atteindre, l'objectif fixé par l'Organisation mondiale de la santé de 3 millions de personnes traitées d'ici à 2005, il faut mettre chaque jour 5 000 nouvelles personnes sous traitement et faire passer des tests à 500 000 personnes pour vérifier si elles sont séropositives. Dans certains pays où le taux de porteurs du VIH/sida est élevé, environ 50 000 personnes par jour apprendraient grâce à ces tests leur séropositivité et 10 % d'entre elles auraient un besoin urgent d'ARV. Selon l'organisation internationale du sida, 48 millions d'actifs pourraient être décédés des suites du sida 2010, et 74 millions d'ici à 2015.
Bientôt un microbicide
Des microbicides efficaces à insérer dans le vagin devraient être disponibles d'ici cinq à sept ans, a annoncé l'International Partnership for Microbicides. Des essais sur six candidats sont en cours et une vingtaine d'autres sont à l'étude. Ils sont destinés plus particulièrement aux femmes des pays pauvres qui ne sont pas en situation d'imposer le port du préservatif. L'utilisation de microbicides, efficaces à seulement 60 %, par une femme sur cinq dans 73 pays à faible revenu permettrait d'éviter 2,5 millions d'infections par le VIH en trois ans, selon un rapport de la fondation Rockefeller.
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