Polémique sur le stylo Merck contre l’hépatite C : des médecins calment le jeu

Publié le 08/02/2012
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Crédit photo : MAXPPP/LA VOIX DU NORD

Après les affaires du Mediator et des prothèses mammaires PIP, le stylo Merck serait-il à l’origine du prochain scandale mettant en cause la pharmacovigilance ? Le quotidien « Libération » dévoile dans son édition du 8 février les doutes qui planent sur l’efficacité de l’interféron de MSD et dénonce « un an d’alerte, autant d’inactions ».

L’histoire commence début 2011, lorsque le Pr Albert Tran, chef du service d’hépato-gastroentérologie de l’hôpital de l’Archet de Nice réalise en interne une évaluation de pratiques professionnelles. Il observe, comme il l’explique dans « Libération », « que le pourcentage de réponses virologiques soutenues chez les patients traités avec le ViraferonPeg (est) inférieur à celui des patients soignés avec le Pegasys (l’interféron du laboratoire Roche) ». L’évaluation aurait révélé un taux de guérison de 62 % chez les patients traités au Pegasys contre 25 % chez les malades sous ViraferonPeg. Les 2 molécules étant quasi équivalentes, le Pr Tran concentre ses interrogations sur le canal permettant de les injecter. Le ViraferonPeg est contenu dans un stylo, le Pegasys dans une seringue. « J’ai regardé ce stylo de plus près ... J’ai constaté qu’en effectuant certaines manœuvres, il peut se bloquer. Il peut également ne pas injecter la dose, sans que l’infirmière ou le patient s’en rendent compte », continue le chef de service.

Albert Tran alerte donc le laboratoire MSD le 3 février 2011. « Libération » affirme, sur la base d’un enregistrement que le journal s’est procuré, que les cadres prennent l’affaire au sérieux. Lors d’une réunion au siège de Schering-Plough à Courbevoie (avant la fusion effective en France avec MSD), la directrice des affaires réglementaires se dit « très inquiète » et insiste, auprès du responsable des affaires médicales hépatites pour prévenir le siège américain de Merck, l’usine de fabrication Heist ainsi que les autorités sanitaires. « Je pense qu’il s’agit d’un problème qualité », poursuit-elle. Elle a d’autant moins d’hésitations à le dire, que dès 2006, les autorités savent que le stylo se bloque. Un numéro vert est même mis à disposition des usagers qui peuvent l’échanger en pharmacie.

Le 24 mai, les envoyés de Merck rencontrent pour la 2e fois, le Pr Albert Tran à Nice qui leur démontre que le stylo peut « ne pas délivrer la dose, sans que le patient ou l’infirmière s’en rende compte ». L’unique solution pour lui serait d’avoir un nouveau prototype.

Dans un mail adressé au journaliste de Libération, Merck (injoignable mercredi) affirme avoir « rapporté aux autorités compétentes » les informations. En France, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) indique que c’est l’Agence européenne qui aurait dû être informée car le médicament est sous procédure centralisée. L’Agence européenne ne semble pas avoir reçu de signalements.

Éducation thérapeutique

Encore un scandale qui doit affoler les patients ? Les médecins calment le jeu. Un spécialiste en gastro-hépathologie d’un grand CHU nous affirme qu’il utilise les 2 interférons. « Les grandes études américaines montrent qu’il n’y a pas de différences, et je n’ai eu aucun retour de la part de mes patients. » Le Pr Jean-Pierre Zarski, chef du service au CHU de Grenoble, confie au « Quotidien » s’être penché, à la demande de son collègue le Pr Albert Tran, sur les résultats de ses propres patients, soit une cohorte de 200 à 250 malades. « Nous n’avons pas constaté de différences entre les traitements par seringue ou par stylo », explique-t-il. Quant à savoir si l’injection incomplète du traitement signe une perte de chance pour le patient, les deux professeurs sont formels : « entre 1 mg/kg et 1,5 mg/kg, il n’y a aucune différence. Il faut au moins que 70 à 80 % du produit soit injecté », résume le Pr Zarski. Selon lui, « la question est plutôt de savoir si le patient a été bien éduqué et sait réaliser sa propre injection ».

C’est aussi le point de vue du vice-président de SOS-Hépatite, Michel Bonjour. « Les remarques que nous avons reçues sur ce stylo portent sur la complexité de son utilisation. C’est vrai que quand on est fatigué il est dur à armer ou qu’il peut se coincer », reconnaît-il. « Il est vrai aussi qu’on ne voit pas si on a injecté tout le produit », continue-t-il. Le Pr Georges Pageaux, du CHU de Montpellier, et secrétaire de l’Association française pour l’étude du foie, confirme : « Le stylo est d’utilisation complexe et nécessite une éducation thérapeutique, mais je n’ai eu que très peu de retour. »

Les médecins n’ont pas eu besoin des alertes des institutions semble-t-il. Les parts de marché du stylo ViraferonPeg ont chuté de 47 % en 2004 à 24 % en 2011. Quant à savoir dans quelle mesure les cadres de MSD ont, ou non, prévenu les autorités sanitaires, difficile de trancher. Le climat social tendu provoqué par la fusion entre Merck et Schering-Plough n’est peut-être pas anodin, selon des sources bien informées.

 COLINE GARRÉ

Source : lequotidiendumedecin.fr