Génétique, pédophilie et suicides des jeunes

Polémique sur des propos de Sarkozy

Publié le 11/04/2007
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DANS UN ENTRETIEN avec le philosophe Michel Onfray paru dans « Philosophie Magazine » (voir encadré), Nicolas Sarkozy déclare «incliner (…) à penser qu'on naît pédophile» et que les jeunes suicidés ont, «génétiquement», «une fragilité».

«On ne naît pas pédophile», estime le Dr Bernard Cordier, psychiatre, dans le cadre du DU de criminologie à Paris-V dont il a la charge. «Je suis convaincu que la pédophilie a pour origine un autre problème. Elle résulte d'une peur panique vis-à-vis des relations avec les adultes ou vis-à-vis du corps des adultes hommes ou femmes. En psychanalyse, Claude Balier écrit que l'anomalies'apparente à un mécanisme de défense face à une angoisse d'anéantissement. Quoi qu'il en soit, ce n'est ni congénital, ni héréditaire, ni même biologique, en l'état actuel des connaissances.» L'expert près la cour d'appel de Versailles s'interroge, toutefois, sur d' «éventuelles prédispositions qui expliqueraient, par exemple, des problèmes que certains peuvent avoir pour devenir adulte. Et que dire si, dans la même famille, d'autres parents ont des difficultés semblables? La pédophilie est une paraphilie, c'est-à-dire une déviancequi renvoie, rapportent des études, à des comorbidités telles que les addictions. Cela serait en faveur d'un terrain susceptible de favoriser une fragilité psychologique, mais nous savons bien que tout ce qui est vécu entre 0 et 15ans reste gravé dans le marbre. Nous n'ignorons pas non plus que, dans une population carcérale, la plupart des détenus ont subi des carences affectives et éducatives durant l'enfance. Il en ressort que, en psychiatrie et même en psychopathologie, la part de l'acquis paraît essentielle, même si on ne peut pas écarter totalement des facteurs génétiques, comme on l'a prouvé en termes de terrain favorable avec la schizophrénie», conclut le chef de service à l'hôpital Foch, de Suresnes (Hauts-de-Seine).

Aider à ne pas passer à l'acte.

Pour Roland Coutanceau, psychiatre responsable de la consultation spécialisée de psychiatrie et de psychologie légale de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine)*, dans cet entretien à « Philosophie Magazine », « on personnalise quelque chose qui ne mérite pas de l'être. Nous ne connaissons pas le fond de la pensée de Nicolas Sarkozy. Comme il ne développe pas sa pensée, on peut avancer qu'il se demande s'il n'existe pas une part d'inné. A ma connaissance, en tant que spécialiste du traitement des auteurs d'agressions sexuelles, je n'ai pas, moi non plus, de réponse sur le sujet. Quelle est la part de l'acquis, de l'inné et de la construction de la personnalité?

En conséquence, j'y vois une polémique à partir de rien. Le vrai problème, à mon avis, tient au fait que le pédophile n'est pas forcément quelqu'un qui passe à l'acte. Tous ceux qui surfent sur les sites Internet pédo-pornos ne se rangent pas parmi les agresseurs. Ce n'est pas parce qu'on est attiré par un enfant qu'on l'agresse. Il nous appartient d'aider ces gens ayant une attirance à ne pas commettre de crimes ou de délits. Pour ma part, je préconise de mieux traiter les pédophiles incarcérés, de mieux évaluer leur dangerosité criminologique avant leur sortie et de faire en sorte que les psychiatres des hôpitaux puissent avoir une valence de psychiatrie légale et de psychologie.» Il faudrait, laisse entendre Roland Coutanceau, créer des unités médico-judiciaires (UMJ) psychiatriques, qui s'ajouteraient aux UMJ, afin de traiter, accompagner et prévenir les délinquants sexuels.

Pas de gène du suicide.

En ce qui concerne le suicide, «personne n'a jamais trouvé un gène», affirme avec force le Dr Jean-François Solal, pédopsychiatre-psychanalyste au Cmpp Etienne-Marcel, où a exercé Françoise Dolto. «Il existe un élément génétique pour la dépression majeure, dans laquelle le risque de suicide se révèle grand chez les adultes, mais la majorité des suicidés adolescents n'entrent pas dans ce champ.»

Sur 10 798 suicides recensés en 2004, 1 104 étaient le fait de moins de 29 ans, dont 621 (5,7 % du total) de 15-24 ans. «Pour l'essentiel, les autolyses de jeunes témoignent d'impulsion s'inscrivant dans des “conduites agies”, c'est-à-dire des actes successifs qui deviennent les seules issues à un malaise. J'insiste, la pulsion suicidaire est un moyen absurde de trouver une “sortie” à des sujets non déprimés. Pour illustrer mon propos, je citerai cet adolescent qui s'était défenestré sans perdre la vie: un coup de folie, s'expliquant par une mésentente avec ses parents. Faute de pouvoir prendre la porte fermée à clé, il s'est jeté par la fenêtre.»

* Consultation rattachée au centre hospitalier spécialisé de Moisselles (Val-d'Oise).

Le dialogue Onfray-Sarkozy

Extrait du dialogue publié intégralement, sur 8 pages, dans « Philosophie magazine » n° 8 :

Nicolas Sarkozy -Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun?

Michel Onfray -Je ne leur donnerais pas une importance exagérée. Il y a beaucoup de choses que nous ne choisissons pas. Vous n'avez pas choisi votre sexualité parmi plusieurs formules, par exemple. Un pédophile non plus. Il n'a pas décidé un beau matin, parmi toutes les orientations sexuelles possibles, d'être attiré par les enfants. Pour autant, on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel ni pédophile. Je pense que nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons.

Nicolas Sarkozy -Je ne suis pas d'accord avec vous. J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.

> PHILIPPE ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8145