Ce n'est encore qu'un projet, de portée limitée. Mais il sent le soufre et pourrait faire grand bruit tant le sujet demeure sensible chez les médecins de ville.
En Franche-Comté, le syndicat de généralistes MG-France et l'union régionale des caisses d'assurance-maladie (URCAM) réfléchissent depuis quelques mois à une expérimentation inédite sur le paiement à la capitation (forfait par patient) qui pourrait concerner une vingtaine de médecins généralistes volontaires. Plusieurs réunions ont déjà eu lieu et les discussions vont bon train pour une application en 2004. Il s'agirait de rémunérer par un forfait annuel l'activité « habituelle programmée » (C + V) d'un généraliste pour un patient donné ; les soins en urgence n'entrent pas dans ce cadre forfaitaire. L'assurance-maladie et MG-France explorent donc les possibilités d'accords expérimentaux à l'échelon régional que prévoit, y compris en matière de gestion du risque, la nouvelle loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2004, récemment adoptée.
Lutter contre la course au volume
Secret jusque-là, le projet franc-comtois est confirmé par le Dr Martial Olivier-Koehret, premier vice-président de MG-France, également président du syndicat en Haute-Saône (70), un des départements concernés. « Rien n'est bouclé, précise-t-il. Mais l'idée est effectivement de prendre l'activité habituelle programmée d'un généraliste pour un patient donné et de la rémunérer sur une base forfaitaire annuelle. On pourrait utiliser comme référence le volume d'activité globale (C + V) de l'année antérieure pour ce patient et fixer un forfait plus élevé que cette activité habituelle, en intégrant des éléments de coordination des soins et de suivi, des indicateurs de qualité, mais aussi du conseil téléphonique qui n'est pas reconnu actuellement... On regarde calmement ce que ça donne, on évalue et, de toute façon, le système est optionnel. » Pour chaque généraliste volontaire, une vingtaine de patients pourraient entrer dans ce champ de la capitation. Quel sera le profil type de ces malades ? Là encore, rien n'est tranché, mais plusieurs critères sont à l'étude : une affection de longue durée (ALD), l'hypertension, l'âge, tel ou tel groupe homogène de malades.
Selon MG-France, chaque partie y gagnerait en « visibilité » et en confort. Les caisses d'assurance-maladie disposeraient d'un périmètre de dépenses déterminé (les honoraires correspondant à l'activité habituelle), avec une évolution annuelle programmée noir sur blanc. Une « rationalisation » des prescriptions est également attendue à terme. Pour les généralistes concernés, le système éviterait les à-coups de rémunération, inhérents à la course au volume.
Dans un scénario idéal, ce système de paiement permettrait aux médecins libéraux de travailler moins. A condition, bien sûr, que les forfaits d'activité par patient soient attractifs et permettent de revaloriser l'exercice de la médecine générale, ce que réclame MG-France. « L'évolution imprévisible du volume d'actes chaque année n'est pas satisfaisante, déclare le Dr Olivier-Koehret. Il y a, certes, une part d'activité nouvelle due au vieillissement et aux techniques, mais aussi une part liée directement à la faiblesse de la valeur des actes qui pousse à faire du volume. Il faut pouvoir obtenir une augmentation lisible dans le temps. »
Spectre britannique
MG-France n'est pas le seul syndicat à dénoncer les effets pervers de la course au volume, et à tenter de la limiter. Le Syndicat des médecins libéraux (SML) plaide depuis quelques mois pour une optimisation des dépenses dans laquelle les médecins libéraux, en tout cas ceux qui le peuvent, accepteraient le principe d'une « modération d'activité ». Quant à la jeune génération, elle refuse de travailler « deux fois 35 heures par semaine », comme le révèle, notamment, la publication récente du Livre blanc des internes.
S'ils peuvent s'accorder sur le diagnostic, les syndicats risquent de se déchirer sur les remèdes. Pour la CSMF, majoritaire, le paiement des généralistes à la capitation, même expérimental, reste un cauchemar qui rappelle l'option médecin référent et, pire encore, le système de santé britannique. Pilier de la médecine libérale française, le paiement à l'acte ne supporte aucune offense. Il n'est donc pas surprenant que la Confédération se soit fendue d'un communiqué attaquant le projet franc-comtois bien qu'il ne soit pas bouclé. « Pendant que la plupart des acteurs du monde de la santé réfléchissent et débattent au sein du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, certains s'activent sur le terrain », avertit la CSMF dans un texte intitulé : « Alerte : la capitation revient ! » Et de faire le lien entre cette expérimentation organisée « dans la discrétion » et l'option référent, dont la CSMF réclame une évaluation publique. Le syndicat réaffirme par précaution « sa totale opposition à toute mise en place d'un système étatisé de type britannique, dont la première étape serait précisément le paiement des médecins de famille à la capitation ».
MG-France préfère dédramatiser. « Le degré de satisfaction des médecins et des patients devra être mesuré, assure le premier vice-président. Quant aux forfaits, ils existent déjà pour les soins palliatifs, les astreintes, le médecin référent. Il faut sortir des postures idéologiques. »
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