« C'est chaque année la même chose depuis dix ans, constate rageusement le Dr Marie Morcelet, psychiatre, bénévole au sein de la mission SDF de MDM ; les sans-abri, tout le monde s'en fout toute l'année, sauf durant les quelques jours de grand froid où il y a des morts. On prend alors des mesures démagogiques. La coercition pour embarquer les gens contre leur gré est typique. »
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la décision du préfet de police de Paris heurte les humanitaires habitués à l'accompagnement des sans-logis. Dans une note adressée aux directeurs départementaux et au commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, Jean-Paul Proust, en se fondant sur « l'obligation de porter assistance à personne en danger », a ordonné que les personnes « remarquées ou signalées en situation de grande détresse soient prises en charge d'autorité », conduites temporairement dans des locaux des services de police ou des pompiers avant d'être placées en centre d'hébergement par l'intermédiaire du SAMU social ; des centres dont les capacités ont été renforcées : 962 lits ajoutés en décembre aux 3 000 en service toute l'année et encore 600 de plus, la semaine dernière, avec l'activation du plan grand froid.
Réquisition des médecins
Ce n'est pas tant la nature des moyens d'hébergement déployés qui alimente la polémique que les modalités de prise en charge préconisées par les pouvoirs publics. Le président du SAMU social, le Dr Xavier Emmanuelli, explique au « Quotidien » pourquoi il est extrêmement choqué par la décision du préfet : « On n'embarque pas des gens sur les trottoirs comme on nettoierait la voie publique en assurant une maintenance de la voirie. Je combattrai cette mesure de ramassage violent qui est tout à la fois cosmétique et inepte. Si tant est que des gens sont en situation détresse vitale, ce sont non des policiers mais des médecins qui sont à même d'évaluer leur cas et d'apprécier les mesures à prendre. »
Dans ces conditions, l'ancien secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire (dans le gouvernement Juppé) estime que « les pouvoirs publics n'ont qu'à se donner les moyens de leurs choix : pas question que les médecins des associations soient appelés à la rescousse, que le préfet réquisitionne les médecins de ville. Interrogeons-nous enfin sur les problèmes de fond posés par l'état des centres d'hébergement ou de la psychiatrie ».
A Médecins du Monde, on ne mâche pas davantage ses mots. Responsable de la mission SDF, Graziella Robert juge que la décision du préfet est contradictoire : « Si les personnes sont en danger vital, ce n'est certainement pas dans un commissariat qu'il faut les conduire, mais dans un service d'urgence hospitalière. »
Mais surtout, la manière forte, accuse-t-elle, est « arbitraire, choquante et néfaste ; depuis neuf ans que nous avons lancé cette mission, nous veillons à entretenir un dialogue qui risque bien aujourd'hui d'être rompu unilatéralement : un sans-abri embarqué contre son gré et relâché dans le froid au petit matin se cachera pour éviter d'être à nouveau ramassé. Le contact établi avec lui risquera d'être rompu avec les conséquences les pires. »
Bien sûr, souligne le Dr Morcelet, « il ne saurait être question d'abandonner à la rue une personne en danger. Mais notre méthode consiste à jouer la persuasion et la patience, non la coercition. Quitte, si nécessaire à revenir à plusieurs reprises au cours de la nuit. Et bien sûr, en cas de défaillance vitale, nous faisons appel aux pompiers ».
La mission SDF de MDM comprend une quarantaine de bénévoles, parmi lesquels vingt-cinq médecins. Dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, sillonnant les artères de la capitale, les deux minibus de l'ONG ont rencontré vingt-sept personnes à la rue, parmi lesquelles trois femmes. Seuls neuf de ces sans-abri ont accepté d'être conduits vers un centre d'hébergement. Les dix-huit autres ont donc passé la nuit dehors par des températures avoisinant les moins dix degrés. « Nous ne les avons pas contraintes, explique Graziella Robert. Mais nous leur avons fourni bonnets, gants, sacs de couchage et couvertures, tout en les réchauffant avec des soupes et en les ravitaillant en sandwiches et sucreries. Et nous sommes retournés régulièrement les surveiller. C'est cela, un maraudage respectueux de la dignité des personnes. »
Ces dix-huit SDF ont survécu. Cependant, le bilan de la vague de froid s'alourdit de nuit en nuit. Vendredi, il s'établissait à huit personnes pour la France, dont cinq dans la seule région parisienne. Après la promesse surréaliste d'un candidat à la présidentielle, « objectif zéro SDF », l'objectif zéro SDF mort du froid ne sera donc pas pour cette année.
MSF veut « des mesures urgentes » pour sauver les sans-abri à Moscou
L'organisation humanitaire Médecins sans Frontières (MSF) réclame des « mesures urgentes » pour sauver les sans-abri à Moscou de la vague de froid qui a déjà provoqué la mort de plus de 300 personnes.
Depuis le 1er octobre, 304 personnes sont mortes de froid dans la capitale russe, alors que 2 400 ont souffert d'hypothermie, a précisé un responsable de MSF pour la Russie, Alexeï Nikiforov, citant les chiffres du Comité pour la santé qui tiennent compte des décès à l'hôpital.
Au cours des cinq dernières années, plus de 2 000 personnes sont mortes de froid dans la ville et plus de 20 000 ont été victimes d'hypothermie, a estimé M. Nikiforov.
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