Le comble, dans cette affaire, c'est que tout le monde a raison. Mais pour des motifs bien différents.
Les médecins, notamment les six spécialistes du Val-d'Oise qui prescrivent Androcur à leurs malades pour des troubles qui n'ont rien à voir avec l'hirsutisme féminin, l'indication pour laquelle ce médicament a obtenu son AMM, sont persuadés qu'ils ont raison.
« Et comment donc, insiste le Dr Marie-Claude Bouaziz-Laublet, gynécologue à Argenteuil. Ce produit a été certes commercialisé il y a une vingtaine d'années pour le traitement de l'hirsutisme féminin. Mais depuis, il a fait la preuve scientifique de son immense intérêt dans le traitement de nombreux troubles féminins, notamment l'acné sévère. Les autres traitements de remplacement, qui nécessitent un suivi biologique important et des consultations fréquentes, sont beaucoup plus onéreux. Il n'est donc pas normal que la Sécurité sociale nous épingle et refuse de rembourser nos patientes, parce que nous ne prescrivons pas Androcur dans le strict respect de l'AMM. »
La caisse primaire n'entre pas dans ce raisonnement. Elle a aussi des arguments solides. « Je reconnais, dit le Dr Martine Donnet, médecin-conseil de la caisse du Val-d'Oise, que, dans plusieurs publications, des experts signalent les effets intéressants d'Androcur sur l'acné sévère. Mais l'AMM du médicament ne fait aucune allusion à cette indication, et la Sécurité sociale se doit d'intervenir. » Comme l'impose la réglementation.
Mais il ne s'agit pas, du moins dans l'immédiat, dit-elle, de sanctionner les médecins. « Nous les rencontrons pour les inciter à respecter désormais la réglementation, et à inscrire NR sur leur ordonnance (pour non remboursable) chaque fois qu'ils prescriront le médicament pour d'autres indications que celles précisées par l'AMM. »
Reste que les malades ne sont pas remboursées et ne le seront pas. Cela crée des remous chez les patientes et leurs praticiens, qui tempêtent certes contre l'assurance-maladie, mais aussi contre la laboratoire concerné, l'allemand Schering, dont la filiale française installée dans le Nord est assaillie de questions par les médecins qui voudraient que le médicament obtienne une extension d'AMM.
Le laboratoire aussi a ses raisons. « Androcur, explique le Dr Frédérique Magnies, responsable de Schering-France, a montré toute son efficacité.Mais, même si des publications ont signalé son efficacité sur l'acné sévère, il n'est pas dans les intentions du laboratoire de demander une extension d'AMM. Cette spécialité a vingt ans, et le laboratoire a d'autre projets industriels importants. Il n'entre donc pas dans les intentions de notre maison mère de relancer des études longues et coûteuses pour obtenir des compléments d'AMM. » D'autant, insiste-t-elle, qu'un autre médicament, en l'occurrence Roaccutane, « a montré toute son efficacité dans le domaine de l'acné sévère ».
Ce que ne contestent pas les médecins qui notent cependant que leur liberté de prescription doit leur laisser le choix du médicament qu'ils jugent le plus approprié à leurs patientes. Schering convient du trouble dans lequel se trouvent ces médecins et organise à leur intention, le 5 mars, une réunion à Pontoise. Mais « nous conseillons à chaque médecin qui nous appelle de dialoguer avec l'assurance-maladie, avec les responsables de la caisse, avec les médecins-conseils ; c'est le meilleur moyen d'arriver à s'entendre sans léser les patientes . En attendant, en ces temps troublés, la tension monte. La caisse du Val-d'Oise affirme qu'il n'est pas question de saisir le comité régional médical (CMR), ce « tribunal » tant contesté par les médecins, inventé par le plan Juppé et chargé de sanctionner les médecins, notamment en cas de prescriptions abusives.
Mais que se passera-t-il lorsque de nouveaux contrôles, auprès des mêmes médecins, comme le laisse entendre la caisse primaire, seront effectués, surtout s'il est prouvé que les spécialistes incriminés ont poursuivi leur prescription hors AMM, sans l'indiquer sur l'ordonnance ?
Pour le Dr Marie-Claude Bouaziz-Laublet, l'affaire de ces contrôles est limpide : « Il s'agit en l'occurrence, dit-elle, de brimades pour déstabiliser et intimider les professionnels libéraux. »
Mais au-delà de cette affaire, c'est toute la question de l'AMM qui est posée. Que faut-il faire lorsqu'un médicament montre une efficacité insoupçonnée lors de l'attribution de l'AMM, et qu'elle est notée, comme c'est le cas pour l'Androcur, par des publications et des communications ?
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