« La croissance des indemnités journalières est surprenante en temps de crise. Je demande à la CNAM de nous donner des éléments d’explication. Il faudra analyser les écarts entre assurés, entre départements et entre entreprises. Je ne suis pas sûre que ces écarts soient toujours justifiés par des facteurs strictement médicaux ».
Lors de la réunion de la commission des comptes de la Sécu, qui prévoit un déficit record de plus de 20 milliards d’euros du régime général cette année, Roselyne Bachelot a mis en cause la dynamique jugée incompréhensible du poste des IJ (près de 7 % de hausse sur les premiers mois de 2009), une croissance deux à trois fois plus rapide que le reste des dépenses de soins de ville. Le comportement des médecins, des patients aussi, a été épinglé. Pour Éric Woerth, ministre du Budget, « il n’est pas normal qu’il y ait 7 % d’augmentation d’arrêts de travail. Il y en a trop. La crise n’excuse pas tout ». Il a pointé les « fortes disparités des arrêts de travail qui ne sont pas liées à l’état de santé » et les « mauvaises habitudes de certains assurés et professionnels de santé », rappelant les résultats des contrôles de la CNAM selon lesquels 13 % des arrêts de courte durée vérifiés s’avèrent injustifiés.
Le décor est planté. Fin 2007 déjà, la Sécu avait mesuré que le nombre d’IJ courtes par personne variait du simple au double selon les départements, et même « dans un rapport de un à quatre » pour les IJlongues . Les disparités territoriales s’expliquent en partie par la politique de contrôle, la composition socioprofessionnelle de la population (proportion de cadres notamment), la proportion d’assurés en ALD ou encore le profil du prescripteur.
Si le poste des IJ ne représente « que » 8 milliards d’euros en 2008 (à comparer aux 160 milliards d’euros de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie), il est bel et bien dans la ligne de mire, dès lors qu’il motive plus de 30 % de la croissance des soins de ville. Sans attendre les explications de la CNAM, et alors que l’assurance-maladie effectue déjà un million de contrôles par an - une politique amorcée en 2003, qui n’a cessé de s’intensifier, et qui a eu des résultats spectaculaires jusqu’en 2006 - le gouvernement a annoncé une batterie de mesures afin de « stopper la dérive » des IJ : envoi par la CNAM de 1 000 lettres d’avertissements aux « gros prescripteurs », mise sous entente préalable de 150 médecins supplémentaires dès cette année, généralisation en 2010 de la contre-visite de l’employeur (qui permet la suspension des IJ à un salarié sur la base d’un avis négatif du médecin mandaté par l’employeur). Côté maîtrise médicalisée, Roselyne Bachelot veut diffuser auprès des médecins plusieurs référentiels validés portant sur les pathologies les plus fréquemment responsables d’arrêts de travail (avec des durées moyennes de référence). Elle a cité les lombalgies, les troubles anxio-dépressifs et les suites d’interventions chirurgicales.
Amortisseurs.
Le gouvernement se dit surpris : traditionnellement, rappelle le rapport de la commission des comptes, « le volume des IJ est logiquement dépendant de l’évolution de l’emploi salarié ». En clair, la hausse du chômage amène les salariés à moins recourir à des arrêts de travail par crainte de l’impact sur leur emploi. Mais cette fois, la formule ne s’applique pas : le chômage augmente à un rythme rapide depuis le troisième trimestre 2008, la récession est là, et le dynamisme des IJ ne se dément pas. Pourquoi ?
Les syndicats de généralistes ont quelques explications. « Nous sommes depuis quelques mois dans une période intermédiaire où les arrêts de travail jouent un rôle d’amortisseurs sociaux, argumente le
Dr Michel Combier, président de l’UNOF (généralistes de la CSMF) . Il y a une pression psychologique forte sur les salariés dans les entreprises, qui entraîne une vraie souffrance, on pousse les gens à démissionner, les lieux de travail deviennent parfois des lieux de harcèlement ou de conflit. Les médecins n’arrêtent pas les gens pour le plaisir même s’il faut combattre les abus marginaux ! ».
Le Dr Martial Olivier-Koehret, président de MG-France, avance une autre raison. « Ce sont les IJ maladie de longue durée qui contribuent à la croissance rapide de ce poste (les arrêts de plus de 45 jours expliquent près de 90 % de la progression des versements) . C’est le signe qu’on soigne de mieux en mieux des gens qui vieillissent et qui ont de lourdes pathologies, et que le système de santé fonctionne ». Une tendance lourde : le rapport de la commission des comptes confirme que, avec l’âge, la durée moyenne des arrêts « augmente sensiblement ». Les syndicats font valoir que ces arrêts de longue durée sont systématiquement contrôlés par les médecins conseils et que, dans ces conditions, la stigmatisation par le gouvernement d’une « dérive » est assez contestable. D’autant que, selon le secrétaire général du SML, le Dr Jean-Louis Caron, certains médecins conseils « font du chiffre sous la pression de leur hiérarchie ». Le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF-Généraliste, ne cache pas son agacement. « Il y 20 ans, des gens venaient demander quinze jours à leur généraliste pour repeindre leur salle de bain. Les mentalités ont complètement changé, même si quelques types font encore leur clientèle sur les arrêts de travail. Il faut arrêter le délire répressif ».
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