D ES 1996, plusieurs associations de malades (sang, amiante...) avaient demandé à la chancellerie la création d'une juridiction autonome de santé publique, à l'instar de celles qui fonctionnent contre le terrorisme ou pour les affaires dites financières. Régulièrement réformulée, la revendication a finalement été entendue : un pôle de santé va être créé « dès que possible » à Paris. Annonce en a été faite par la garde des Sceaux. Deux juges d'instruction spécialisés y travailleront sur les grands dossiers (sang contaminé, amiante, hormone de croissance, maladie de Creutzfeldt-Jakob, etc.).
« Toutes les affaires particulièrement complexes, les infractions ayant des conséquences sur un très grand nombre de personnes, seront rassemblées à Paris », a précisé Marylise Lebranchu ; un médecin spécialiste de santé publique, ainsi qu'un pharmacien et un vétérinaire seront adjoints à ce pôle.
Mais la ministre n'a fourni aucun calendrier, ne confirmant pas un démarrage éventuel à l'automne (« le Quotidien » du 18 juin). « C'est un pôle encore expérimental, a-t-elle seulement indiqué. On a besoin de savoir combien d'affaires remontent. Je pense qu'il y a d'ailleurs relativement peu d'affaires, mais qu'elles sont très complexes à traiter. »
Et le parquet ?
« D'ordinaire, dans l'administration, on n'aime pas trop ceux qui brandissent l'étendard de la révolte », commente la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, sans dissimuler sa satisfaction. La magistrate, qui n'instruit par moins d'une cinquantaine de dossiers santé*, avait saisi successivement, en février et en mai derniers, sa hiérarchie ainsi que les médias (« le Quotidien » du 4 mai 2001) au sujet de son relatif isolement et du manque de moyens pour instruire ses dossiers. Un pôle santé, avait-elle alors expliqué, mettrait à sa disposition « des assistants spécialisés, des greffes supplémentaires et un seul parquet serait spécialisé dans la santé publique. »
Mme Bertella-Geffroy se garde cependant de crier victoire : « Beaucoup de questions restent en suspens aujourd'hui : quels moyens vont être dégagés ? Quels locaux affectés ? Va-t-on se limiter à la prise en compte de la santé publique ou ouvrir à toutes les questions relevant de la responsabilité médicale ? », déclare-t-elle au « Quotidien ».
Surtout, la juge parisienne s'inquiète du fait que la garde des Sceaux n'a évoqué que le volet instruction des dossiers, « sans préciser si des parquetiers spécialisés prononceraient ou non des réquisitions au sein de la future structure. Pas de précisions non plus sur les enquêtes préliminaires qui permettraient d'arriver à des conciliations. Aucune information, enfin, sur le niveau de l'expertise médicale et l'indispensable impulsion et coordination des experts que nous réclamons de nos vux ».
Scepticisme et espoirs
Les zones d'ombre sont telles aujourd'hui qu'Olivier Duplessis n'hésite pas à demander : « Ne pourrait-il pas s'agir d'une fausse annonce ? »
Le président de l'Association française des transfusés et porte-parole des victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob estime qu' « il est trop tôt pour dire si un pôle juridique de santé digne de ce nom va être réellement mis en place. Certes, la déclaration ministérielle va dans le bon sens, mais rien ne nous garantit les moyens en magistrats, en policiers et surtout en autonomie de la future structure ».
Même scepticisme à l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA). Son président, François Desriaux, « applaudit quand même des deux mains » à l'annonce de Marylise Lebranchu : « Le pénal va enfin devenir un sujet fort. Jusqu'à présent, pour l'amiante, seules ont abouti les procédures civiles, pour indemniser les victimes devant les juridictions correctionnelles ou de la Sécurité sociale. Aucune procédure au pénal n'a encore débouché. Alors que chaque année, on dénombre 2 000 morts des suites d'exposition à l'amiante, pas un seul procureur n'a engagé de procédure pénale. Même si on doit avancer demain à la vitesse de l'escargot, cela constituera déjà un progrès par rapport à l'actuel blocage judiciaire. »
Limité aux affaires sérielles
Président honoraire de l'Académie nationale de médecine, le Pr Claude Sureau, qui avait lancé l'année dernière, les états généraux justice-santé (en partenariat avec la Cour de cassation), estime que, tel qu'il est formulé aujourd'hui, le projet ne va pas assez loin. D'une part, explique-t-il, « il ne faudrait pas se limiter aux seules affaires sérielles, ces dossiers qui concernent un grand nombre de plaignants à travers la France, mais confier à la juridiction les affaires individuelles ressortissant de l'ensemble des questions de santé. Dès lors, il conviendrait non pas d'associer aux magistrats un médecin de santé publique, mais de recréer un corps d'experts médicaux, avec les diverses spécialités. Un corps qui pourrait être constitué avec des représentants du Conseil de l'Ordre des médecins, voire de l'Académie.
« D'autre part, s'interroge le Pr Sureau, pourquoi limiter la nouvelle structure à la première instance judiciaire ? Ne pourrait-elle pas juger aussi en appel, voire en cassation ? » On éviterait ainsi de voir la Cour de cassation statuer sur le fond dans des dossiers ultrasensibles comme l'affaire Perruche. Alors que la juridiction suprême n'est censée se prononcer et dire le droit que sur la forme des jugements.
* Parmi ces dossiers, les vaccins antihépatite B (5-6 plaintes), la contamination d'une quarantaine d'hémophiles grecs par des produits Mérieux et américains, deux affaires de dopage dans le cyclisme et le culturisme (15 mises en examen), le décès d'une enfant à l'hôpital parisien Trousseau, en 2000, après 48 heures de déshydratation (une dizaine de mises en examen).
Des victimes de l'amiante indemnisées comme celles du sang contaminé
Encore une entreprise condamnée pour « faute inexcusable » ! La cour d'appel de Paris a donné raison aux salariés de l'usine Everite de Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne) victimes de l'amiante. Selon l'ANDEVA (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) et la FNATH (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), « cette victoire était attendue, tant il était évident que cette grande entreprise de transformation d'amiante avait une parfaite connaissance des dangers de ce matériau ».
Néanmoins, les associations se félicitent de la décision de la cour d'appel d'accorder des dommages et intérêts « importants » aux héritiers, en réparation des préjudices subis par les victimes décédées, « s'alignant ainsi sur ceux octroyés aux victimes du sang contaminé ».
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