Une équipe américaine a découvert un oncogène essentiel aux mécanismes moléculaires de la tumorigenèse. Codé par le gène Zbtb7, il agit en réprimant la transcription d'autres gènes, en particulier celle d'un suppresseur de tumeur, la protéine ARF. Non sans malice (voir encadré), les chercheurs du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (New York) l'ont rebaptisé Pokemon, en référence aux petits monstres destructeurs des dessins animés japonais.
Un lien avec le développement de lymphomes.
Chez la souris, la surexpression du gène Pokemon est généralement associée au développement de formes très agressives de lymphomes. Maeda et coll. ont observé que le niveau d'expression de Pokemon était également anormalement élevé chez une grande partie des patients atteints de certains types de lymphomes, en particulier chez ceux souffrant de lymphomes diffus à cellules B de grande taille ou de lymphomes folliculaires. Il est en outre apparu que la sévérité de ces cancers était directement proportionnelle au niveau d'expression de l'oncogène : plus la protéine Pokemon est fortement exprimée et plus la tumeur est agressive.
Par ailleurs, des résultats encore non publiés suggèrent qu'une expression aberrante de Pokemon est également retrouvée dans certaines tumeurs solides. Ce phénomène a été observé chez des malades atteints par de multiples formes de cancers, touchant le sein, le poumon, le côlon, la prostate ou encore la vessie. L'ensemble de ces données révèlent donc l'importance de Pokemon dans la tumorigenèse.
Des expérience conduites in vitro sur des fibroblastes embryonnaires murins ont indiqué que la protéine Pokemon agirait en contrôlant la plupart des voies de signalisation cellulaire impliquées dans la transformation d'une cellule normale en cellule cancéreuse. En son absence, la présence d'autres oncogènes tels que H-ras, Myc ou encore E1A ne suffit pas à provoquer la transformation cellulaire.
Une cible thérapeutique potentielle.
Cette propriété fait de ce nouvel oncogène une cible thérapeutique idéale : en découvrant des médicaments capables d'inhiber l'activité de Pokemon, il serait en effet théoriquement possible d'enrayer les mécanismes de la cancérogenèse.
Afin de rendre possible de telles applications, Maeda et coll. ont voulu en apprendre plus sur le mode d'action moléculaire de Pokemon. En déterminant sur quelles séquences de l'ADN l'oncogène était capable de se fixer, ils ont découvert que sa principale cible était le promoteur du suppresseur de tumeur ARF. C'est donc en empêchant la transcription du suppresseur de ce tumeur que Pokemon favorise la tumorigenèse.
« Il existe de nombreux gènes qui peuvent causer un cancer, mais Pokemon est unique car il est nécessaire à l'activité des autres oncogènes. Pokemon est l'interrupteur principal du réseau moléculaire qui conduit au cancer », résument finalement les auteurs.
T. Maeda et coll., « Nature » du 20 janvier 2005, pp. 278-285.
Nomenclature et facéties
Si Maeda et coll. ont choisi de rebaptiser le gène Zbtb7 en « Pokemon », c'est parce que cet oncogène code pour une protéine de la famille POK qui constitue un facteur ontogénique érythromyéloïde (en anglais, POK Erythroid Myeloid ONtogenic factor). Certes, ces chercheurs auraient pu garder la nomenclature Zbtb7 ou abréger le nom de leur protéine en PEMOF. Mais cela n'était ni drôle, ni facile à retenir. Et Maeda et ses collègues avaient de l'humour et probablement des enfants qui les tannaient pour obtenir les fameuses cartes à jouer japonaises.
La référence aux héros enfantins n'est pas une première en matière de nomenclature des gènes : Sonic Hedgehog (référence au hérisson des jeux de plateforme Nintendo) est un des noms de gènes farfelus les plus connus. Mais on peut en citer des dizaines d'autres gènes dont le nom sonne comme une plaisanterie : teashirt et son régulateur grunge, le transposon gypsy, castor et pollux, bazzoka, seven up, rutabaga, flamingo, van gogh sont tous des gènes identifiés chez la drosophyle.
Et si les généticiens de la drosophyle sont de loin les plus inventifs, les chercheurs spécialisés dans l'études des plantes ne sont pas en reste. Le génome d'Arabidopsis compte notamment les gènes superman (impliqué dans la floraison) et kryptonite (suppresseur de superman). Jordan est un transposon qui se déplace dans un génome végétal avec la même vélocité que Michael Jordan.
Et pour finir l'inventaire, ma blague de généticien préférée : le gène jak qui code pour une kinase, Just Another Kinase...
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