L’AUTEUR a passé dix-sept ans dans une institution pour personnes handicapées physiques, et être nu, c’est, au premier degré, être offert au danger, vulnérable, donné au regard trop insistant du quidam.
Le début du livre est l’occasion pour lui de rappeler qu’il a lu, consulté, approfondi les grands penseurs. On peut d’ailleurs s’étonner de cette persistante curiosité intellectuelle alors qu’il est lui-même un érudit. Il en ressort de sa part une déception générale et on se dit que cette musique-là, on la connaît bien, c’est le Descartes du début du « Discours de la méthode » : j’ai parcouru toute l’histoire de la Pensée, je n’en retiens que scepticisme, voyons ce qui résiste au doute.
Mais Alexandre Jollien s’attache plus à ce que son érudition a fait de lui, un perroquet, il a une trop bonne mémoire. Encore un dépouillement, mallarméen aussi : il a lu tous les livres, reste une chair plus tenaillée que triste.
Car c’est de ce corps qu’il aimerait se dépouiller, et surgir beau sous l’espèce d’une érotique épiphanie. Il lui faudrait ressembler à ces beaux gosses qui se meuvent avec aisance, exhibant sans effort de dociles conquêtes. « Connards ! », leur crie-t-il dans un spasme très critique et qui le déconstruit dans son propre regard.
Comment croire aux Sages quand on n’est soi-même que désir, déséquilibre, ubris ? Que faire de cette Raison surplombante qui trace le Vrai et le Bien et que Descartes a si bien maîtrisée ? Et surtout, lui qui ne tient pas en place, ne tient pas dans sa peau, qu’a-t-il à faire du conseil pascalien, rester tranquille dans une chambre ?
Au Népal.
Alors, il faut là-bas fuir, vers un point qui a nom la Joie. Mais de quelle joie s’agit-il ? Celle que prône une tradition spinozo-nietzschéenne n’est-elle pas trop liée au corps, à la puissance du conatus ? Il croit la trouver dans la prière, autre symbole de la mise à nu : on se dépouille pour être avec Dieu. Il en faut peu pourtant pour que la colère ne refasse surface, elle revient à l’occasion d’un regard, ou de ses propres jugements sur les autres.
C’est à Katmandou, dit l’auteur, qu’il s’est naguère trouvé dans un monde détaché des crispations de l’Occident. « J’ai rencontré une humanité commune à cultiver et à développer en chacun. Toute lutte avait cessé. Mon ego s’était-il éclipsé pour accueillir le monde, sans le juger, sans le nier, tout entier à l’écoute du réel ? »
C’est au travers de lignes fort émouvantes qu’il semble, au Népal, avoir fait de la nudité, non plus ce touché à vif qui le fait être faible, car sans cuirasse, mais un aller vers l’autre et le monde. « Aller au fond du tourment pour l’habiter et lui donner un sens »... Au point d’être plus fort que son rocher ?
Un livre qui, lorsqu’il se réduit à la pure exhibition pathique met mal à l’aise, mais où souffle à la fin un fort vent libérateur.
Alexandre Jollien, « le Philosophe nu », Seuil, 198 pages, 15 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature