ON PEUT DIRE que le Bolchoï, quand il veut se renouveler, n'y va pas de main morte. Lors de notre dernière visite à la capitale russe, on avait pu y voir avec surprise une production de « Eugène Onéguine » de Tchaïkovski datant de 1944 ! Elle existe pour la postérité sur DVD (TDK) après avoir trôné sur la scène du Bolchoï pendant une soixantaine d'années, inculquant l'oeuvre à des générations de spectateurs, y compris à Dmitri Tcherniakov, jeune prodige du théâtre russe déjà récompensé par les plus grandes distinctions et commençant une belle carrière internationale.
Sur la scène du Bolchoï ouverte en 2005, il a monté une nouvelle production de ce chef-d'oeuvre d'après Pouchkine qui a fait grincer plus d'une dent. Causant aussi le départ de la salle et son désir d'annuler sur la même scène les cérémonies de célébration du jubilée (80e anniversaire) du soprano maison Galina Vichnevskaya, Tatiana légendaire, qui pourtant en avait vu d'autres pendant sa carrière mouvementée.
Tcherniakov joue son « Eugène » transposé un siècle plus tard dans un décor unique (ou presque), la salle à manger : de province pour les premières scènes et le duel, façon mélange Empire et nouveau riche pour le bal chez le prince Grémine. L'incommunication règne entre les personnages clés comme parfois au sein d'une même famille aujourd'hui. Le propos est incisif, voire grinçant, le texte parfois remanié, la musique revisitée, notamment en confiant à Lenski les couplets de Monsieur Triquet, lequel du coup devient un personnage muet. Si, en général, tous les personnages sont à la limite ou franchement dans la caricature, celui de Lenski est sacrifié : il ne croit à rien depuis le début, personne ne le prend au sérieux, tous ses actes, y compris le duel, sont manqués, il est la caricature du personnage romantique de la pièce.
Rien n'est laissé au hasard. À ceci près, c'est tout de même du très grand théâtre où rien n'est laissé au hasard, la direction d'acteurs traitée au millimètre près comme au cinéma. Son travail, magnifié par les éclairages somptueux de Gleb Filshinsky, est un point de fusion entre opéra, théâtre et cinéma par cette précision de la direction d'acteur, cette manière de zoomer parfois sur un détail précis de l'action et la liberté laissée aux chanteurs dans la mesure de leurs limites musicales. L'expérience confirme que cela marche mieux avec de meilleurs chanteurs que de moins bons comme ce fut le cas avec les trois distributions proposées par le Bolchoï. Nous avons entendu celle qui était filmée pour une retransmission en direct sur une chaîne russe et qui sera présentée par Arte le 10 novembre.
De l'avis général la meilleure, elle comportait la Tatiana de Tatiana Monogamova, soprano que nous avions entendue quelques jours auparavant chanter aux Proms à Londres dans « Katchay l'immortel » de Rimski-Korsakov sous la direction de Vladimir Jurowski, grande voix solide projetant bien, et colorée à souhait donnant tout son relief à ce personnage torturé et surtout à son interminable Air de la lettre qui figure le contenu d'une nuit entière. Excellents aussi les hommes avec le Lenski d'Andrey Dunoev et l'Onéguine du Polonais Mariusz Kwiencien, le seul non-Russe de l'équipe. Anatolij Kotscherga donne une dimension impressionnante au Prince, plus désormais par sa belle stature physique et son intelligence musicale que par sa ligne de chant un peu décousue. Formidable aussi le choeur et seule ombre au tableau, la direction vraiment conventionnelle et solennellement lente du directeur musical du Bolchoï Alexander Vedernikov, pour le coup bien ancrée dans la tradition.
Une grande soirée de théâtre à des années lumières de ce que l'on essaie de nous vendre sur la même scène pour tel avec Marthaler ou Warlikovski. L'excellente nouvelle est que l'on retrouvera Tcherniakov en avril, à qui Gérard Mortier a confié la mise en scène de « Macbeth » de Verdi. À vos agendas !
Opéra de Paris. Retransmission sur Arte le 10 novembre à 22 h 45 dans « Musica ». Prochains spectacles : « la Fiancée vendue » de Smetana du 11 octobre au 2 novembre, « Macbeth » de Verdi avec V. Urmana, F. Furlanetto, Carlos Alvarez, du 4 avril au 8 mai 2009.
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