NÉ EN 1829, avocat, Maurice Joly fit paraître anonymement à Bruxelles son « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » qui devait être rapidement interdit car, par le truchement des deux grandes figures de penseurs de la politique dans ses fondements même et ses ambitions, cet homme épris de démocratie, de justice, de loyauté, critiquait les hommes alors au pouvoir.
Sous le masque de Machiavel, c'est Napoléon III qui s'exprime et explique comment on peut maintenir dans la servitude quand on prétend pourtant à un Etat éclairé. Il raconte, devant un Montesquieu plus loyal, comment on peut même faire perdre toute conscience de cette servitude au peuple.
Bien sûr, il ne s'agit ici en rien d'une leçon simplement politique. Rien d'austère. On est au cœur d'un grand texte littéraire et Hervé Dubourjal, qui signe une mise en scène sobre, tendue, précise, dirigeant deux comédiens sensibles et audacieux en même temps, Jean-Pierre Andréani et Jean-Paul Bordes, ne l'oublie à aucun moment.
C'est Pierre Tabard, le regretté Pierre Tabard qui avait, il y a quelques années, avec Fabienne Périneau, repris la première adaptation de ce texte non composé pour le théâtre, évidemment, qui était de Pierre Fresnay et Jean-M.Charton. Fresnay le lut avec Julien Bertheau (son compagnon pour « le Neveu de Rameau » de Diderot). A l'orée des années 80 on redécouvrit vraiment ce grand dialogue : François Chaumette et Michel Etcheverry le jouèrent. Pierre Tabard et Pierre Arditi le lurent à leur tour dans le cadre du festival d'Avignon, mais jamais ils ne purent le jouer sur une scène.
On est donc très heureux de retrouver « Machiavel-Montesquieu, dialogue aux enfers ». Catherine Sellers a veillé sur cette production modeste et forte et dans les lumières de Cédric Simon, Hervé Dubourjal guide avec finesse les élans, les retournements. Il a bien choisi les interprètes.
Il ne s'agit pas de ressemblance physique, mais de cette vraisemblance qui aide au théâtre dans ce genre de proposition. Car Maurice Joly, s'il vise Napoléon III, ne s'écarte jamais de la vérité des pensées, des écrits de Montesquieu et de Machiavel.
Bordes, avec sa blondeur, son côté athlétique, compose un Machiavel solaire et déterminé, cynique face au Montesquieu de Jean-Pierre Andréani, plus discret, profond, sourdement inquiet devant les audaces et la cruauté de son compagnon des enfers... C'est beau, haut, cela donne de fortes émotions de jeu et d'intelligence, et c'est théâtral. Et puis c'est à méditer car au-delà de Napoléon III, nous pouvons réfléchir à la société libérale d'aujourd'hui...
Théâtre du Lucernaire, à 18 h 30 du mardi au samedi. Durée : 1 h 20 sans entracte (01.45.44.57.34). Jusqu'au 19 novembre. Le texte de Maurice
Joly a été republié en 1999 aux éditions Allia.
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