LE CENTRE NATIONAL des professions de santé (Cnps), qui a entre autres objectifs de résoudre les problèmes communs de treize professions de santé, est secoué depuis plusieurs semaines par des querelles intestines. En novembre, une dizaine de ses membres refusait de participer à l'élection de son président. Quelques semaines plus tard, ils boycottaient la première réunion du comité directeur de l'institution. Les opposants, présidents de syndicats représentatifs de biologistes, chirurgiens-dentistes, infirmiers, kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, pharmaciens, podologues, sages-femmes... et médecins généralistes viennent de franchir un nouveau palier. Au cours d'une réunion jeudi 20 janvier, ils ont décidé de se regrouper au sein d'une structure informelle baptisée Interpro Santé (1). Ils demandent à Michel Régereau, président (Cfdt) de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam), de les recevoir pour connaître les grandes orientations de l'Uncam pour tous les professionnels de santé. « Nous souhaitons ensemble apporter notre contribution interprofessionnelle à une réforme dont nous avons soutenu les principes essentiels, affirment-ils dans une lettre commune. Ensemble, nous avons déjà posé les bases des accords de bon usage des soins, interprofessionnels et transversaux, dans le cadre d'une responsabilité partagée. »
La crise couve depuis longtemps.
Le malaise au sein du Cnps ne date pas d'hier. Les opposants dénoncent depuis plusieurs mois le mode de fonctionnement de cette instance. « Les médecins disposent de la majorité des voix et par leurs décisions, ils entraînent les autres professionnels de santé. Un rééquilibrage est indispensable », explique Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmaciens (Unpf). Les membres de la nouvelle Interpro Santé ont été très marqués par le rejet in extremis de l'accord-cadre interprofessionnel (Acip), en 2003, qui devait aboutir à la conclusion de contrats de collaboration ou de coopération étroite entre médecins et professionnels de santé. En novembre, la candidature à la présidence du Cnps du Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), a cristallisé le mécontentement. « Beaucoup de syndicats ne se sont pas retrouvés dans la vision médico-médicale du Dr Cabrera et ont eu l'idée de ce rassemblement », résume le Dr Alain Libert, chargé de mission sur les soins primaires à MG-France.
Pour Jean-Paul David, président de la Fédération nationale des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (Ffmkr), la nouvelle convention médicale n'est pas pour rien dans cette initiative : « L'accord conventionnel n'évoque nulle part une politique de responsabilité partagée des professionnels de santé. » Le président du Syndicat des biologistes (SDB), Jean Benoît, renchérit : « En voulant à tout prix l'adhésion des médecins à la réforme, on a oublié que tous les professionnels de santé étaient concernés par la maîtrise médicalisée des dépenses. »
Une initiative décriée.
Bien évidemment, la création d'Interpro Santé a fait réagir les membres du Cnps. Beaucoup voient derrière cet événement la main du Dr Costes. Nadine Hesnart, présidente de la Fédération nationale des infirmières (FNI) et secrétaire générale du Cnps, estime que les membres d'Interpro Santé se sont « exclus tout seuls. Ils essaient de créer un Cnps bis , c'était leur objectif depuis longtemps ». Jean-Claude Michel, président de la Confédération nationale des syndicats dentaires (Cnsd) et vice-président du Cnps, craint pour sa part que « cette réunion de prescrits ne prenne des initiatives nuisibles à l'interprofession en général et aux dentistes en particulier ».
Mais c'est du côté de Dinorino Cabrera et de Michel Chassang qu'est venue la charge la plus forte : le Dr Cabrera, président du SML et du Cnps, indique tout d'abord que les membres d'Interpro Santé « n'ont pas encore démissionné officiellement du Cnps, bien qu'ils entreprennent des actions difficilement compatibles avec leur adhésion au Centre national. Il est vraiment dommage qu'ils n'aient pas essayé d'en parler officiellement au sein du Cnps. Leur démarche soi-disant unitaire est une démarche de séparation. Ces opposants à la convention se lancent, tels des desperados, dans une politique de la terre brûlée, en espérant occuper le terrain médiatique. A un moment ou à un autre, il faudra bien leur demander s'ils sont dans le Cnps ou en dehors ».
Car, selon Dinorino Cabrera, si les membres d'Interpro Santé ont annoncé verbalement leur départ du Cnps, ils n'en ont pas encore démissionné. « Le fait de ne pas avoir acquitté leur cotisation pour 2005 n'est nullement un motif de rupture », poursuit le Dr Cabrera. Et le président du SML de citer en exemple le cas de MG-France : « En 2004, MG-France n'a jamais payé sa cotisation au Cnps, il n'en a pas moins été membre toute l'année. »
Scission.
Pour autant, le Dr Cabrera se dit fataliste sur la suite des événements : « Je crains maintenant une scission en deux du Cnps : un mouvement majoritaire favorable à un exercice libéral et un mouvement minoritaire favorable à un exercice socialisé. » Quoi qu'il en soit, le président du Cnps a demandé à rencontrer Frédéric van Roekeghem, directeur de l'Uncam. Un rendez-vous a été fixé vendredi 28 janvier à 14 h 30 qui portera sur... l'interprofessionnalité.
Du côté de Michel Chassang et de la Csmf, le ton est plus rude encore : « Je ne suis pas surpris par cette initiative, je la sentais venir. MG-France, n'est pas parvenu à faire s'affronter les généralistes et les spécialistes durant les négociations conventionnelles. Il se tourne maintenant vers les paramédicaux pour former un front des "prescrits" contre les "prescripteurs". Mais Pierre Costes aura beau gonfler le torse, il n'a pas les moyens de sa politique. Le Cnps reste le seul interlocuteur habilité par les pouvoirs publics pour contractualiser auprès des professions de santé. »
Michel Chassang évalue le rapport de forces entre le Cnps et Interpro Santé : « Au Cnps, le syndicat d'infirmières est le syndicat majoritaire, le syndicat des dentistes est le syndicat majoritaire, et les syndicats de médecins sont également largement majoritaires. Alors, les agités du bocal, ça suffit ! » Après avoir pris connaissance de la lettre adressée à Michel Régereau par Interpro Santé dans laquelle les dissidents considèrent « qu'il serait sans issue de revenir à une maîtrise du passé où les prescripteurs organisent les prescrits », le président de la Csmf, adresse un message plus consensuel : « Je veux dire aux professions paramédicales que nous n'avons rien contre elles, bien au contraire ; je veux également dire aux syndicalistes qui suivent le Dr Costes que nous ne sommes nullement contre eux et qu'ils ont toute leur place au Cnps comme à la future Unps (2). »
(1) Interpro Santé rassemble les présidents des syndicats représentatifs des professionnels de santé libéraux qui ont quitté le Centre national des professionnels de santé (Cnps) : le Syndicat national autonome des orthoptistes (Snao), Convergence infirmière, le Syndicat des biologistes (SDB), MG-France, la Fédération nationale des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (Ffmkr), la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), l'Union nationale des jeunes chirurgiens-dentistes (Ujcd), la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (Fspf), l'Union nationale des pharmaciens de France (Unpf), la Fédération nationale des podologues (FNP), l'Union nationale des syndicats de sages-femmes françaises.
(2) L'Union nationale des professions de santé libérales, qui sera le partenaire de l'Uncam et de l'Unocam (Union nationale des organismes d'assurance-maladie complémentaires) dans le cadre des négociations conventionnelles.
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