IL EST TROP TÔT pour parler d'arnaque ou d'escroquerie. N'ayant pas encore été jugée, la société Annuaire PRO bénéficie de la présomption d'innocence. Sur Internet pourtant, les sites de défense des consommateurs ont fleuri, qui usent de mots au ton accusateur.
Des milliers de personnes - entre 11 000 et 20 000 selon les sources, dont un grand nombre de médecins - ont porté plainte contre Annuaire PRO, basée à Strasbourg. Cinq cents sont parties civiles. A Colmar, on annonce un procès d'envergure. « Une grosse affaire », commente la maison de la justice locale.
Dès 2002, « le Quotidien » mettait en garde ses lecteurs dans cette affaire. Car, comme d'autres professions - artisans, avocats, entrepreneurs... -, les médecins ont été la cible d'Annuaire PRO. La société a adressé près de deux millions de courriers en France pour proposer son offre d'inscription à un nouvel annuaire électronique (1). Le hic : le tarif élevé et mal indiqué (1 690 euros hors taxe pour deux ans, exigé sur simple renvoi du courrier même non signé), la confusion instaurée avec des offres concurrentes (nombre de médecins ont cru qu'il s'agissait de l'annuaire professionnel de France Telecom), et la nature même de la prestation, de mauvaise qualité (le site web Annuaire PRO, longtemps inexistant, fonctionne depuis peu, mais son usage est compliqué).
Placé sous contrôle judiciaire depuis son extradition d'Allemagne en janvier 2004, le gérant d'Annuaire PRO, un homme d'affaire hollandais, va donc devoir rendre des comptes à la justice française. Florian Sailer est poursuivi pour publicité de nature à induire en erreur. Un délit. Aujourd'hui, c'est un homme libre. Mais qui encourt une peine d'emprisonnement et une forte amende.
Pression.
Florian Sailer, semble-t-il, a décidé de jouer la montre. Les milliers de plaignants viennent de recevoir une, deux, trois relances d'Annuaire PRO, qui exige le règlement des factures impayées en faisant monter la pression d'un cran. Car cette fois, la « mise en demeure » est accompagnée de la photocopie d'une décision de justice favorable - à première vue - à Annuaire PRO. Le 6 janvier 2005, la cour d'appel de Lyon a condamné un bureau d'étude du Rhône à régler une note impayée à Annuaire PRO (1 250 euros), ayant jugé valable le contrat d'inscription à l'annuaire électronique. La juridiction civile a estimé qu'il n'y avait aucune confusion possible avec les Pages jaunes de France Telecom. Mais pour certains proches du dossier, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon aurait été falsifié - il y manquerait notamment des tampons officiels attestant son origine. Contactée par « le Quotidien », la chambre civile lyonnaise a refusé de s'exprimer sur un sujet dit « sensible ».
Les 26 et 27 mai prochains, Annuaire PRO passera pour la première fois au pénal, au tribunal correctionnel de Colmar. Les médecins qui ont reçu les lettres de relance sont inquiets. Que doivent-ils faire ? Ceux qui ont porté plainte ont reçu les conseils du tribunal de grande instance de Colmar : dans un avis à victime, le TGI leur indique la marche à suivre (les plaignants peuvent se constituer partie civile et réclamer des dommages et intérêts).
Dans le panneau.
Pour les autres, les conseils vont tous dans le même sens : ne pas payer pour l'instant et attendre l'issue du procès. « Si Annuaire PRO est condamné, les choses devraient se tasser. Si la société est au contraire relaxée, il faut s'attendre à voir fleurir des procès civils un peu partout », estime Me Laurence Wurth, avocate à Colmar, qui va défendre 6 000 personnes au cours de l'audience, dont un quart de professionnels de santé.
Des médecins sont tombés dans le panneau d'Annuaire PRO, mais aussi des infirmières, Aude Dauphin peut en témoigner. Cette juriste, qui travaille pour le compte de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), reçoit régulièrement des appels d'infirmières angoissées. « Je leur dis de ne pas payer et de n'accorder aucune importance aux courriers de menaces d'huissier. Annuaire PRO est une coquille vide, c'est du vent. C'est l'exemple type de l'arnaque sur Internet. »
Jacques Ruffenach, de la Direction départementale de la Répression des fraudes, conseille aussi de patienter jusqu'à la fin du mois de mai. Mais lui, qui suit le dossier depuis le début, ne comprend pas que la profession médicale ne se soit pas davantage mobilisée pour assurer sa défense. « Il aurait été bon, dit Jacques Ruffenach, que l'Ordre des médecins se porte partie civile compte tenu du nombre de médecins concernés, pour montrer que la bonne foi des médecins a été mise à mal, et qu'ils pensaient avoir affaire aux Pages jaunes, étant donné qu'ils n'ont pas le droit de faire de publicité commerciale. »
La maison de la justice et du droit de Colmar (03.89.41.50.93), qui est rattachée au tribunal de grande instance, prône la prudence : « On ne connaît pas l'issue du procès : relaxe ou condamnation, les deux sont possibles. Les gens peuvent demander des dommages et intérêts, ou simplement un euro symbolique, cela les regarde. »
Le tribunal de grande instance de Colmar précise qu'il n'est pas trop tard, pour ceux qui s'estimeraient victimes, de porter plainte auprès du procureur de la République (place du Marché-aux-Fruits, 68027 Colmar Cedex). Quant à savoir si les plaignants doivent ou non se rendre au procès, le procureur apporte la réponse suivante : « Compte tenu du nombre élevé de victimes concernées, la salle d'audience ne permettant pas d'accueillir toutes les victimes recensées, j'insiste sur le fait que vous n'avez pas d'obligation d'assister en personne à l'audience : vous pouvez vous faire représenter par un avocat ou faire parvenir votre demande de dommages et intérêts par écrit. »
(1) Site Internet : http://web.annuairepro.fr
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