De notre envoyé spécial
Pour profiter des soins gratuits offerts par les onze centres de santé et les quelques hôpitaux publics de l'archipel, les Maltais doivent se montrer patients et renoncer au libre choix de leur praticien.
Un millier de médecins, dont 350 généralistes et 650 spécialistes, assurent l'ensemble des soins prodigués à la population. Cent vingt généralistes travaillent exclusivement en cabinet privé, tandis que la quasi-totalité des spécialistes exerce à la fois en centre (ou en hôpital public) et en libéral. Les cabinets libéraux ne désemplissent pas, bien que tous les traitements soient à la charge des patients. Une consultation chez un généraliste libéral coûte environ 8 euros, ce qui assure à ces médecins un revenu annuel avoisinant les 20 000 euros, deux fois supérieur à celui d'un médecin salarié.
Les médicaments, prescrits ou non, sont entièrement payés par les patients. Seuls certains malades chroniques ou atteints d'affections graves peuvent les obtenir gratuitement, mais uniquement dans les pharmacies hospitalières, car aucun produit dispensé en officine n'est remboursable.
« A priori, notre liberté totale peut paraître séduisante, explique le Dr Denis Soler, président des généralistes libéraux maltais, mais la réalité est moins rose. » Les médecins libéraux travaillent jusqu'à seize heures par jour, prennent peu de congés et doivent répondre à toutes les demandes de leurs patients, qui attendent d'eux qu'ils soient à leur disposition jour et nuit, poursuit le Dr Soler. « Nous ne sommes pas déprimés, mais plutôt désillusionnés, explique-t-il, d'autant que nos revenus ne sont pas très élevés par rapport à notre charge de travail. »
Le Dr Wilfred Galea, installé dans un petit village de la côte occidentale de Malte, explique qu'il a trouvé, en libéral, l'indépendance qui lui manquait du temps où il exerçait en centre de santé. Aujourd'hui, il possède un superbe cabinet, et en loue une partie à plusieurs médecins spécialistes, mais paie sa liberté au prix fort : « Je travaille tout le temps, et je sais qu'un accident ou une maladie remettrait en cause mon niveau de vie et celui de ma famille », dit-il.
Une forte émigration
Avec quelques confrères, le Dr Soler a largement contribué à améliorer le niveau de la médecine générale sur l'île, qui constitue aujourd'hui une spécialité à part entière, enseignée par des généralistes à la faculté de médecine de Malte.
Fondée il y a 500 ans par l'Ordre des Chevaliers, elle forme quatre fois plus de médecins qu'il n'en faut à l'île : près de 75 % des médecins issus de cette faculté, qui répond à tous les critères européens, partent donc à l'étranger, le plus souvent dans les pays anglo-saxons.
Les généralistes maltais souhaiteraient que le gouvernement se préoccupe plus de la modernisation du système ambulatoire que d'investir dans des projets lourds, comme la construction d'un nouvel hôpital de 800 lits, pourtant indispensable pour remplacer le très vieil hôpital central de La Valette, construit en 1930. Ils plaident pour un développement de la prévention et de l'éducation sanitaire, alors même que la santé des Maltais est loin d'être excellente. Douze pour cent de la population est diabétique, l'incidence du cancer du sein est la plus forte d'Europe et l'obésité est répandue. Des facteurs génétiques, aggravés par l'isolement de l'archipel pendant des siècles, contribuent à expliquer cet état des lieux sanitaire.
« Nous sommes très heureux que Malte adhère à l'Union européenne », expliquent les médecins, qui ne craignent pas l'arrivée massive de confrères étrangers à Malte. « Il faut parler maltais pour se faire une clientèle. Or c'est une langue difficile, et nos revenus ne sont pas très attractifs », constatent-ils. « L'adhésion nous permettra de renforcer nos contacts avec nos confrères européens, y compris pour une meilleure qualité de la formation et des soins », estime le Dr Soler. Pour lui, l' adhésion est une « chance historique » qui dépasse largement le seul cadre de la santé, ou de l'économie, en général : « Après avoir été une colonie pendant des siècles, elle montre que nous sommes enfin devenus un pays adulte et indépendant », conclut-il.
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