Le destin politique de Tony Blair

Plus longue est la chute

Publié le 12/09/2006
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ON PEUT D’AILLEURS S’ÉTONNER de ce que le chef du gouvernement britannique accepte d’écourter son mandat. Il faut rappeler cependant qu’il s’y était engagé : son chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, qui est très impatient de le remplacer, avait conclu avec lui un accord informel aux termes duquel Tony Blair se retirerait après la deuxième victoire électorale du Labour. Or cela fait dix ans que M. Blair est aux commandes et M. Brown est en train de se dessécher sur place.

Toutefois, l’accord entre les deux hommes est moins important que le différend politique qui oppose M. Blair et une forte minorité de son parti sur la conduite des affaires. Le Premier ministre souffre principalement de l’alignement de ses positions sur celles de George W. Bush et de la participation active de l’armée britannique dans l’occupation de l’Irak (et de l’Afghanistan).

Troisième gauche.

M. Blair était un proche de Bill Clinton avec lequel il partage sa philosophie politique et le concept de la « troisième gauche », qui déplaît aux socialistes français. Il était donc normal qu’il eût d’étroites relations avec M. Clinton. En revanche, il n’a aucune affinité particulière avec le néoconservatisme que M. Bush incarne encore (mais maintenant à regret), et il a dû se forcer pour rejoindre le président américain dans toutes ses décisions. L’objectif de M. Blair consistait à apporter une alternative conciliante aux positions tranchées des Etats-Unis ; pour cela, il fallait avoir la confiance du chef de l’Exécutif. Il l’a, mais à son détriment ; il ne joue pas le rôle de l’Anglais plus subtil qui servirait de pont entre les Européens et les Américains et comprendrait mieux le point de vue des pays arabes. Il a engagé le Royaume-Uni en Irak, avec les conséquences que l’on sait, notamment en pertes de vies humaines.

TONY BLAIR N'EST PAS ENCORE CONVAINCU QU'IL EST DEVENU IMPOPULAIRE

Les Britanniques ont semblé le lui reprocher, en particulier par des manifestations mémorables, mais ils ont reconduit les travaillistes au pouvoir en 2005, démentant ainsi beaucoup de pronostics. Sans doute n’ont-ils pas trouvé chez les Tories (conservateurs) une alternative crédible à l’interventionnisme anglo-américain dans le monde. En tout cas, M. Blair a bel et bien gagné les législatives de mai 2005 qui lui accordaient un troisième mandat. De sorte qu’il n’a pas cru, en bonne logique, qu’il était impopulaire. Disons qu’il est accepté à contre-coeur par l’opinion et qu’il est détesté par une fraction agissante de son parti, pendant que M. Brown bout d’impatience. Ce qui est surprenant, c’est qu’il se soit laissé enfermer par la cabale travailliste qui l’a contraint à annoncer son départ, mais pas la date : le voici non seulement impopulaire, mais transformé en lameduck, ou « canard boîteux », c’est-à-dire en un homme qui ne dispose plus d’un laps de temps suffisant au pouvoir pour que ses actions ou son discours soient pris au sérieux.

Le Labour, d’une certaine façon, s’est tiré une balle dans le pied. Il a voulu que M. Blair s’en aille parce que ses parlementaires craignent de perdre leur circonscription à la faveur des prochaines élections, mais il s’est soudainement affaibli. D’autant que le Premier ministre a des partisans qui dénoncent non sans vivacité la position personnelle de Gordon Brown, lequel ne fait rien pour que son ami-ennemi s’en aille, mais se réjouit de ce qu’il s’apprête à partir.

Le chef du gouvernement britannique a sans doute jugé qu’il n’était pas assez haï pour partir immédiatement, mais que son nom soulevait trop de vagues, ou que ses engagements méritaient assez d’être appliqués, pour qu’il consente à calmer l’impatience de ses « amis » en leur faisant une nouvelle promesse (qu’il peut aussi ne pas tenir).

Croissance économique.

On s’inquiète de le voir aussi attaché au pouvoir, qu’il a pourtant exercé dans des conditions extrêmement difficiles, depuis que l’armée britannique est en Irak, depuis qu’il a été démontré que les dossiers sur lesquels le pouvoir s’appuyait pour justifier l’intervention en Irak étaient tronqués ou truqués, depuis qu’il a soutenu M. Bush dans le conflit israélo-libanais et que, pas plus tard qu’avant-hier, il a été conspué par les Libanais auxquels il rendait visite. D’autres que lui se seraient lassés d’avoir perdu un capital précieux de popularité au fil des ans, ou auraient constaté qu’ils ne pèsent guère sur les décisions américaines et que la Grande-Bretagne n’a décidément pas influencé les grands choix géostratégiques de ces dernières années.

Mais Blair a assuré à son pays une croissance durable, qui ne s’est même pas démentie en 2005 quand tout le monde s’attendait à un « atterrissage » de l’économie du Royaume-Uni. On peut aussi penser que cette croissance, l’excellent expert Gordon Brown en est l’artisan. Ce qui explique encore mieux son désir obsédant d’entrer au 10 Downing Street. Et on se prend à méditer sur la grâce des premiers mois de Blair, son sourire ensorcelant, sa troisième voie, si originale au pays de Clement Attlee, l’homme qui a battu Churchill au lendemain de la guerre parce que l’idéal socialiste était encore plus fort que le triomphe de la Grande-Bretagne sur un ennemi plus puissant, plus dangereux et plus cruel. Du Premier ministre de charme, il ne reste plus qu’un homme auquel l’exercice du pouvoir a valu beaucoup de mauvais coups et qui s’accroche encore aux lambeaux d’un passé qui a été prestigieux, mais dont le prestige n’a pas duré.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8007