USÉS, SURMENÉS, LESSIVÉS, soucieux de modifier leur exercice et parfois enclins à dévisser leur plaque : plus de la moitié des médecins libéraux franciliens se sentent aujourd'hui menacés par le burn out, ce syndrome d'épuisement professionnel qui associe abattement émotionnel, déshumanisation de la relation à l'autre (en l'occurrence au patient) et perte du sens de l'accomplissement de soi au travail. C'est ce que révèle une enquête inédite de l'union régionale des médecins libéraux d'Ile-de-France (1), amplifiant les résultats déjà inquiétants de travaux réalisés en Bourgogne (2001), en Champagne-Ardenne (2002) et en Poitou-Charentes (2004), qui avaient montré que 40 à 47 % des libéraux présentaient des symptômes de burn out.
Cette étude se fonde cette fois sur les réponses de 2 243 médecins libéraux franciliens (des questionnaires ont été envoyés en novembre 2006 à 10 000 praticiens), un échantillon considérable, qui montre tout l'intérêt des médecins pour ce sujet.
Exactement 53 % des médecins franciliens interrogés se déclarent personnellement menacés par ce syndrome (17 % « tout à fait » ; 36 % « oui, plutôt »). A l'inverse, 34 % ne se sentent « pas vraiment » en danger et seulement 13 % d'entre eux « pas du tout ».
Quel est le profil type du médecin en souffrance ? Le risque est aggravé pour les célibataires (66 % des praticiens qui se déclarent menacés par le burn out) et pour les médecins dans la tranche d'âge entre 45 et 50 ans (57 %). Le fait d'exercer la médecine générale (61 %), en secteur I (57 %), de pratiquer de très nombreuses visites à domicile, de réaliser plus de 6 000 actes par an (grosse clientèle) et de consulter sans rendez-vous sont également des éléments « à charge ». Quant aux facteurs personnels, l'étude cite « le fait de rencontrer des difficultés financières dans sa vie privée », de « se sentir fragile psychologiquement », de « ne pas s'accomplir dans son métier » ou encore d' « être confronté à des difficultés d'ordre affectif ».
Course contre la montre.
L'étude francilienne a suggéré aux médecins un large éventail de causes possibles du burn out. Les réponses sont sans appel. La quasi-totalité des médecins retiennent « l'excès de paperasserie » (95,6 %), l'absence de reconnaissance professionnelle (90,1 %) et une charge de travail « trop lourde » (89 %). Sont cités ensuite, par ordre décroissant, l'augmentation des contraintes collectives, la longueur des journées, l'exigence des patients, le manque de temps pour sa vie privée, le risque de contentieux juridiques, la vie privée parasitée par le travail, l'adaptation à de nouvelles recommandations, ou encore la prise en charge difficile de certains patients. En revanche, les difficultés financières sont finalement peu citées (un médecin sur trois).
Les 600 témoignages et commentaires très personnels de médecins (recueillis en fin de questionnaire) traduisent mieux que tout cette spirale infernale du burn out qui gagne la profession. Tel médecin a « l'impression d'être un taulard, de compter les années à tirer ». Cet anesthésiste se dit « écrasé de travail, ce qui nuit beaucoup à la qualité de ma vie ». Un autre rêverait... d' « aller au cinéma une fois par an ». « Dans dix ans, tranche ce médecin généraliste , il n'y aura plus de fous pour continuer à pratiquer correctement ce métier. » Cet autre professionnel souffre de la « course contre la montre, plus de douze heures par jour ». Le « harcèlement » de l'assurance-maladie, mais aussi « la démagogie qui fait que le patient est roi » reviennent également. La moitié des répondants (1 136 médecins) souhaiteraient modifier leur exercice (en cabinet de groupe par exemple) et 279 aspirent carrément à changer de métier (soit, tout de même, 12 % de l'échantillon !). Quatorze médecins enfin ont évoqué spontanément le risque de suicide. Ce qui n'empêche pas aussi de nombreux messages d'espoir. « La médecine est le plus beau métier du monde, à condition de l'exercer de façon globale, humaniste... » ou encore « je suis très épanouie dans mon travail ».
Un enjeu collectif.
Même s'il existe désormais plusieurs études sur l'incidence du burn out chez les médecins libéraux (auparavant, on parlait seulement des cadres surmenés...), le sujet reste ignoré des pouvoirs publics. Pourtant, cette pathologie aboutit, de l'aveu même des médecins qui se disent touchés, à la dégradation de la relation médecin-patient (85 %), à l'altération de la qualité des soins (82 %) et même à l'augmentation des dépenses de santé (56 %). Autres conséquences de l'épuisement professionnel : les médecins concernés partent un peu moins en vacances, consomment plus d'alcool, de tabac et de médicaments. « En gros, un médecin sur deux n'est pas bien dans sa peau : cette enquête montre que le burn out n'est pas une affaire individuelle mais un problème collectif, institutionnel, qui ne doit plus être occulté », analyse le Dr Régis Mouries, médecin généraliste, président de la commission prévention et santé publique de l'Urml d'Ile-de-France. C'est pourquoi l'étude formule des propositions concrètes visant à prévenir cette pathologie (lire ci-dessous).
Pour le Dr Eric Galam, médecin généraliste, coordonnateur de l'enquête, « il ne s'agit plus de colmater les brèches, le burn out est un enjeu de santé publique majeur ». A l'heure où les carabins désertent la médecine générale et où les « seniors » peinent à trouver des remplaçants, il appelle les autorités à prendre la mesure de ce dossier. « On ne pourra pas longtemps demander aux médecins de se comporter comme des surhommes, tout en les traitant comme des moins que rien. »
(1) « L'épuisement professionnel des médecins libéraux : témoignages, analyses et perspectives. »
350 appels au numéro des docteurs en difficulté
Entre le 1er juin 2005, date d'ouverture de la ligne anti- burn out (0.826.004.580) et le 1er janvier 2007, quelque 350 médecins libéraux franciliens (surtout des généralistes de secteur I) ont eu recours à ce service d'écoute et de soutien par téléphone qui permet aux professionnels en souffrance d'entrer en contact avec un psychologue clinicien. Ce dispositif a été mis en place par l'Association d'aide professionnelle aux médecins libéraux (Aapml) en Ile-de-France, notamment grâce à une subvention du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (Faqsv). Il devrait être prochainement étendu à la région Paca et aux dentistes.
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