«LES FEMMES émigrent et continueront d’émigrer. Bien que femmes et jeunes aient toujours représenté une proportion considérable des migrants internationaux, leurs contributions ont été largement ignorées.» Le rapport 2006 du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa), intitulé « Vers l’espoir. Les femmes et la migration internationale », tente de remédier à cette lacune. «Il faut écouter leurs voix», enjoint-il, regrettant le peu de place réservé au sujet dans l’agenda international.
A la veille de l’assemblée générale des Nations unies, qui doit s’ouvrir à New York le 11 septembre, au cours de laquelle est prévue une réunion de haut niveau sur les migrations, le rapport rappelle que «personne ne devrait être contraint d’émigrer en raison de l’inégalité, de l’insécurité, de l’exclusion et de la limitation des choix offerts dans les pays d’origine. Tandis que les gouvernements et les experts débattent de la meilleure manière de gérer la migration, le fait demeure que les migrants sont d’abord et avant tout des êtres humains qui ont des droits humains».
95 millions de migrantes.
Certes, les exodes et les courants migratoires ont toujours fait partie de l’histoire humaine. Mais le phénomène s’est intensifié au cours des deux derniers siècles, avec, récemment, un changement encore plus rapide. Le nombre de personnes qui vivent en dehors de leur pays d’origine a presque doublé ces cinquante dernières années, atteignant 191 millions en 2005. Au nombre de 95 millions, les femmes représentent désormais près de la moitié de tous les migrants et sont les plus nombreuses dans les courants de migration vers les pays développés.
Leur participation à l’économie et au bien-être des populations dans les pays tant d’origine que de destination a longtemps été mésestimée. Pourtant, un certain nombre d’études révèlent qu’elles jouent un rôle important dans les rapatriements de salaires à destination des pays d’origine. «Elles ont contribué à plus de 62% du montant total, supérieur à un milliard de dollars, des fonds envoyés par les migrants du Sri Lanka en 1999», indique par exemple le rapport, ou encore à «un tiers des quelque 6milliards de dollars envoyés chaque année aux Philippines à la fin des années1990.» Si le montant total des fonds envoyés par les femmes reste inférieur à celui des hommes, elles envoient souvent une proportion plus élevée de leurs gains modestes, en majorité affectés aux besoins quotidiens, aux soins de santé et à l’éducation de leur famille. Lorsque l’on sait que le rapatriement de salaires envoyés par les migrants dans les pays en développement a dépassé les 160 milliards de dollars en 2005, soit sensiblement plus que l’aide publique au développement (APD) – encore que cette estimation ne tienne pas compte des fonds transférés par des voies invisibles –, on mesure l’importance de cet apport pour le développement et la réduction de la pauvreté. La Banque mondiale attribue par ailleurs l’amélioration de la santé infantile et la baisse des taux de mortalité à l’éducation sanitaire que les femmes acquièrent à l’étranger. Dans les pays hôtes, elles paient des impôts et leur travail, souvent dans le service domestique, un des secteurs les plus importants à l’origine de la migration internationale, dans le soin aux malades et aux personnes âgées, rendent possible une qualité de vie que «beaucoup considèrent comme allant de soi».
Exode des infirmières.
Cependant, l’exode des cerveaux devient aujourd’hui l’un des problèmes les plus difficiles que pose la migration internationale. Le départ massif, notamment, des infirmières, des sages-femmes et des médecins a un effet dévastateur dans des pays où les systèmes de santé sont déjà fragilisés. Le Ghana a vu par exemple, en 2000, deux fois plus d’infirmières partir que d’infirmières diplômées, avec, deux ans plus tard, un taux de vacance de postes de 57 %. Le courant risque de s’amplifier car la demande croît. Selon l’OMS, la Grande-Bretagne aura besoin de 25 000 médecins et de 250 000 infirmières de plus en 2008. Le gouvernement américain prévoit que, d’ici à 2020, plus d’un million de postes d’infirmières devront être pourvus et celui du Canada et de l’Australie estiment qu’ils auront besoin de 78 000 et 40 000 infirmières de plus qu’ils n’en disposeront dans quatre ou cinq ans.
Le rapport insiste aussi sur les aspects encore plus dramatiques de la migration : l’exploitation des employés de maison avec parfois des violences physiques graves, voire des décès ; la traite d’humains, dont on évalue le nombre de victimes à 2,4 millions, dont 80 % de femmes et de filles ; la migration forcée lors des conflits. «La faiblesse de la coopération multilatérale et l’échec à établir, à appliquer et à imposer des politiques et des mesures conçues pour protéger les migrantes de l’exploitation et des sévices ont pour conséquence que ce sont les plus vulnérables qui paient –et quelquefois de leur vie», explique le rapport.
Les jeunes en particulier sont plus exposées au risque de viol et aux autres formes de violence sexiste. Pour la première fois cette année, l’Unfpa accompagne son rapport d’un supplément jeunesse spécial, « Des jeunes en mouvement », qui met l’accent sur les expériences de jeunes migrants.
Bibi la Surinamienne
Bibi Sattuar est née à Paramaribo en 1983, fille aînée d’un couple indien du Guyana arrivé au Surinam (ancienne Guyane hollandaise) il y a trente ans pour y chercher du travail. Son témoignage est l’un de ceux recueillis par l’Unfpa. Sa vocation de devenir infirmière a longtemps été considérée comme une folie. Dans sa famille, seuls les hommes travaillaient. Elle parvient tout de même à convaincre sa mère et s’inscrit à l’école d’infirmières. Pourtant, un autre rêve la hante : partir, même si elle sait que son pays a besoin d’elle et que son départ contribuera à aggraver la situation de ceux qui ont choisi de rester. «J’aime ce métier. Mais ici je n’aurai pas de quoi vivre (le salaire de départ est de 550 dollars surinamais, soit environ 200 dollars US) et, si je dois aller quelque part ailleurs pour continuer à faire ce que j’ai choisi, je le ferai.» Toutes ses camarades de promotion ont le même rêve. L’exode des cerveaux est une réalité au Surinam.
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