Lorraine Fouchet vient de recevoir pour ce roman le prix des Maisons de la presse. Ce n'est pas la première fois que l'auteur --qui, nous dit-on joliment, est devenue médecin pour réaliser le rêve de son père mort l'été de ses dix-sept ans et qui maintenant réalise son propre rêve, raconter des histoires - est primée, puisqu'elle a reçu le prix Littré en 1997 pour « De toute urgence » et le prix Anna-de-Noailles de l'Académie française en 1998 pour « Château en Champagne » ; elle a aussi écrit « le Phare de Zanzibar », « le Talisman de la Félicité » et « 24 Heures de trop ».
Ce roman est tout à fait dans l'air du temps, qui raconte les aventures d'une jeune femme, journaliste, qui, parce que tout va de travers à Paris, a décidé de changer complètement de vie et part dans le Gers avec son fils de dix ans et sa jeune sur de quinze ans dont elle s'occupe depuis la mort de leurs parents.
Sur les lieux de son enfance dont elle garde des souvenirs éblouis, elle crée avec une amie une agence destinée à aider les gens qui le souhaitent à changer de vie en organisant leur nouvelle existence clés en main.
Le récit mêle donc l'histoire de l'héroïne - de sa famille, ses amis, ses amours bien entendu - avec celles des clients qui sont tous en rupture de quelqu'un ou de quelque chose et qui rêvent à un avenir meilleur. C'est vivant, sympathique et dynamique : une véritable invitation à se reconvertir !
Editions Robert Laffont, 268 p., 18 euros
« la Demoiselle des glaciers », de Monique Brossard Le Grand
Après « Elise des montagnes » et « Marie des torrents », Monique Brossard Le Grand clôture sa trilogie des sommets : l'héroïne, Marie Chardon, a quitté Tignes après que le village et ses amours ont été engloutis par les eaux du barrage.
Comme dans le roman précédent, elle décide de changer de vie mais, comme elle demeure viscéralement attachée à la montagne, c'est à Chamonix qu'elle espère devenir monitrice de ski ou, mieux, entrer dans la prestigieuse école des guides. Un vu qui, en cette fin des années 1950, se heurte aux traditions qui s'opposent à ce que les femmes chaussent les crampons.
La passion de la haute montagne, la beauté des paysages et l'âpreté des éléments, les résistances que la jeune femme doit vaincre - aidée par un montagnard dont elle tombe amoureuse -, sont la matière de ce roman marqué par ailleurs, encore, par la maladie et la mort.
Le parcours de l'auteur n'y est peut-être pas pour rien.
Ce n'est qu'à 32 ans que Monique Brossard Le Grand a pu terminer les études de médecine qu'elle avait entreprises à 18 ans, jusqu'à l'obtention de son diplôme de chirurgien puis d'oto-rhino-laryngologiste. Chef de service au centre anticancéreux, elle ouvre son cabinet après dix ans d'activités hospitalières. Lors des événements du Cambodge en 1979, elle quitte tout pour soigner les réfugiés Khmers en Thaïlande ; elle a 52 ans. A son retour, elle est frappée de paralysie et hospitalisée de 1980 à 1982 ; malgré la maladie, elle s'inscrit au CES de psychiatrie et obtient son diplôme quatre ans après. Elle publie aussi, en 1981, son premier best-seller : « Chienne de vie je t'aime ».
Ayant récupéré la mobilité de ses membres, elle exerce la chirurgie jusqu'en 1988, puis la psychiatrie. Elle continue d'effectuer des missions en Afghanistan, au Pakistan et en Ethiopie dans des dispensaires de brousse ; elle reste deux ans en Roumanie avec Handicap international ; puis ce sera le Mali, l'Ethiopie encore et Djibouti. C'est alors que paraît son deuxième best-seller, « Zem-Zem mon enfant d'Ethiopie », en 1990, mais elle est l'auteur de huit autres ouvrages sans compter cette trilogie. Un parcours bien rempli !
Editions JC Lattès, 252 p., 18,50 euros
« Ma langue au chat », de Vladan Radoman
Médecin cofondateur de Médecins sans Frontières et de Médecins du Monde, Vladan Radoman, qui a obtenu le prix Sainte-Beuve en 1984 pour son livre « le Ravin », publie son douzième roman. Après un détour par la « Série Noire » de trois ouvrages (le dernier étant « Y a-t-il une vie sexuelle après la mort ?), le plus parisien des Yougoslaves - ou inversement - revient à ses thèmes de prédilection et au genre de l'autobiographie romancée avec un zeste de fantastique.
« Ma langue au chat » est en effet écrit à deux mains et quatre pattes. Les mains du narrateur, un écrivain français d'origine yougoslave, et les pattes de son compagnon, un félin malin comme un singe et qui, lorsque « le menteur » s'écroulera mort sur le tapis, prendra le relais du récit.
Des souvenirs, plutôt, de ce réfugié yougo naturalisé français, moitié serbe par sa mère, moitié monténégrin par son père, qui a échappé de justesse au massacre de Novi Sad en 1941, quand plusieurs milliers de Serbes, de juifs et de Tsiganes furent massacrés par les Hongrois et jetés dans le Danube et qui trouva refuge avec sa famille « à l'autre bout du monde », à Belgrade.
Et, plus loin dans le passé, se dessine la vie d'un grand oncle, un aventurier du XIXe siècle qui était déjà hors d'âge pour l'enfant que fut le narrateur et que celui-ci retrouve aujourd'hui comme une légende vivante. Qui se souvient elle aussi de son improbable vie entre son exil en Amérique - dans les mines de charbon du Kansas, les chantiers au Texas ou les explorations aurifères en Alaska, avant qu'il soit adjoint du shérif en Louisiane -, ses deux guerres balkaniques et celle de 1914, ses traversées transatlantiques et autres exploits, jusqu'à son retour au village de Cetinje où il règne sans partage...
A moins que tout cela ne soit qu'une fable, dont le mot de la fin revient au chat mutant...
Editions du Rocher, 166 p., 14 euros
« L'Ariégeoise », de Catherine Armessen
Médecin généraliste en activité, Catherine Armessen se livre à l'écriture depuis plus de dix ans, d'abord dans la presse enfantine puis en tant qu'auteur de nouvelles.
Ce livre est son premier roman, mais il a pour originalité de s'appuyer pour beaucoup sur les cahiers que son arrière-grand-mère tenait pendant la Grande Guerre, des cahiers riches en anecdotes et qui retracent fidèlement la vie quotidienne pendant ces années difficiles.
A partir de ces pages « vécues » qu'elle a confrontées à de nombreux autres ouvrages, Catherine Armessen a imaginé l'histoire d'une jeune fille de dix-sept ans qui mène l'existence tranquille d'une fille de notaire de province lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale. Comme toutes les femmes alors, tandis que les hommes sont au combat, elle se mettra à l'ouvrage pour maintenir les biens agricoles familiaux sans jamais perdre confiance en la vie et en l'amour.
Au-delà de l'histoire, c'est le pays d'Ariège, ses montagnes, ses cavernes, ses ours et son patois chantant, ses légendes, ses superstitions et les personnalités qui l'ont sillonné comme le poète Raoul Lafagette, l'homme politique Delcassé, le musicien Gabriel Fauré, qui séduisent.
Editions Cheminement, 335 p., 22 euros
« Sous le regard de la Joconde : Léonard de Vinci », de Hugues Romano
Hugues Romano est médecin ophtalmologiste et peintre. Il s'intéresse à l'imagerie médicale, et en particulier à l'angiographie fluorosceïnique ; sur le plan pictural, c'est l'image et son mode de construction qu'il travaille. Ceux qui ont lu « L'il de dieux », paru en 1998 à ces mêmes éditions Théétète, savent que ces deux parcours se croisent dans l'histoire de la sensation visuelle.
On en découvre ici le deuxième volet, qui est tout simplement le manuscrit apocryphe que Léonard de Vinci consacra à l'optique de son temps, et qu'il aurait égaré durant son déménagement mouvementé entre l'Italie et la France.
L'artiste est en effet un pionnier du passage d'une théorie visuelle centrifuge (dans la vision, une partie de l'âme sort de l'il pour aller palper les objets à voir) à une théorie centripète (dans la vision, une structure représentant l'objet à voir pénètre dan l'il). Un changement de concept qui va révolutionner les mondes scientifiques et artistiques. Le bouleversement que ce paradigme opérera dans la technique picturale a comme support pratique les peintures de Léonard, et surtout sa célèbre « Joconde ».
Théétète éditions, 190 p., 21 euros
« les Orphelins de Brooklyn », de Jonathan Lethem
Pourquoi parler ici de ce roman d'un jeune loup de la littérature américaine - dont on connaît déjà « Alice est montée sur la table » -, qui raconte les louches activités d'une agence tenue par un « privé », les arnaques et les combines de ses employés, le meurtre de leur patron et l'enquête rocambolesque qui s'ensuivit ?
Parce que Jonathan Lethem a eu le culot d'affubler son héros - antihéros plutôt - du syndrome de Gilles de la Tourette, ce qui le conduit à des éruptions verbales et à des comportements pour le moins intempestifs et dangereux dans le contexte noir en question.
Si les déformations que le narrateur, l'apprenti privé malade, fait subir au langage, qu'il s'agisse de bredouillements, jeux de mots, contrepèteries approximatives et autres, ont pâti de la traduction française - due à Francis Kerline -, celui-ci s'est efforcé de respecter la tonalité générale du texte : les mots ou phrases énigmatiques restent énigmatiques, les vulgarités restent vulgaires, précise-t-il, tandis qu'il a choisi de laisser certains jeux de mots en anglais, assortis d'une courte note en bas de page.
Editions de l'Olivier, 361 p., 22 euros
Haro sur le business des ONG
Ce livre est dérangeant, qui dénonce, à travers les tribulations d'un couple de volontaires recruté par l'une des plus grandes ONG du monde occidental dans un petit pays d'Afrique centrale ravagé par la guerre civile, l'incurie et le gaspillage humanitaires ainsi que le truquage de la réalité et le cynisme des dirigeants.
On peut, si l'on veut continuer à rêver, prendre son intitulé de roman au pied de la lettre et penser qu'il ne s'agit que de fiction et d'affabulation de la part d'une auteure en mal d'inspiration.
Mais ce serait oublier que Sylvie Brunel - qui enseigne aujourd'hui la géographie du développement à l'université de Montpellier - est de ceux qui ont connu l'humanitaire de l'intérieur, puisqu'elle a travaillé pendant dix-sept ans à Médecins sans Frontières puis à l'AICF. Son engagement dans les ONG lui a valu d'être élue « Femme de l'année » en 1991 et de recevoir la Légion d'honneur. Présidente d'Action contre la Faim en juin 2001, elle en a démissionné huit mois plus tard pour protester contre « le business des ONG ».
L'idée ne lui est pas venue de cracher dans la soupe du jour au lendemain. Depuis 1985, elle a publié 17 livres sur le thème du sous-développement et de la faim dans le monde. A-t-elle été lue et entendue ? Pis, fallait-il cette fiction plus vraie que nature pour percer le mur du silence ?
Chacun, répétons-le, peut retenir de ce récit ce qui lui convient, de l'aventure romanesque la plus effrénée au témoignage le plus poignant et à la condamnation sans appel d'attitudes officielles et non gouvernementales.
« Frontières », de Sylvie Brunel-Editions Denoël, 442 p., 19 euros.
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