Jean-François Mattei ne peut plus, ne doit plus tergiverser : après la réflexion à laquelle il s'est livré tout l'été, le ministre doit prendre aujourd'hui des décisions et les annoncer avant que ne s'envenime le climat.
Car si, jusqu'à présent, le ministre a bénéficié de la confiance des professionnels de santé, surtout après l'accord signé entre les caisses et les syndicats médicaux sur le C à 20 euros, il ne peut éternellement surfer sur cet état de grâce : en clair, il est attendu au tournant du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui sera officiellement présenté le 24 octobre, lors de la réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale. Une commission qui doit d'ailleurs annoncer des déficits importants pour l'assurance-maladie, de l'ordre de 5,6 milliards d'euros pour l'année 2002.
L'abrogation du système de lettres clés flottantes
Le ministre, qui devra prendre en compte ces mauvais résultats (lesquels pourraient être aggravés en 2003, surtout si la croissance ne repart pas), devra cependant, s'il veut agir sur les comptes, trouver d'autres solutions que la maîtrise comptable des dépenses, en particulier pour la médecine libérale.
En effet, les praticiens libéraux, qui ne cessent de se réjouir de ce que la politique du nouveau gouvernement ait changé de cap, disent-ils,tournant résolument le dos à ceux des gouvernements précédents - Juppé et Jospin -, ne pourraient avaliser un texte qui n'affirmerait pas clairement le refus de toute logique comptable en la matière.
Reçus il y a quelques jours seulement par le ministre de la Santé, la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) et le SML (Syndicat des médecins libéraux), qui ont conduit le long conflit des généralistes et qui mènent aujourd'hui celui des spécialistes, ont demandé que le PLFSS 2003 entérine la fin du fameux système des lettres clés flottantes, lequel consiste, et le gouvernement précédent ne s'est pas privé d'y avoir recours, à baisser la valeur de certaines lettres clés lorsque les dépenses augmentaient d'une façon plus rapide que prévu. Cette revendication ne devrait pas causer trop d'états d'âme au gouvernement qui a en effet promis d'abroger ce système, comme il devrait également supprimer, dans ce même PLFSS, les fameux comités médicaux régionaux, « tribunaux » mis en place par le plan Juppé de 1995 pour juger les médecins accusés d'abuser de certaines prescriptions.
Par ces mesures, le ministre de la Santé compte s'assurer la sympathie des syndicats médicaux. « C'est un ministre qui tient la la barre, et l'ambiance a changé », reconnaît d'ailleurs le président du SML, Le Dr Dinorino Cabrera. « C'est une nouvelle ère qui commence », commente le président de la CSMF, le Dr Michel Chassang, qui se réjouit aussi de ce que le ministre de la Santé ne soit pas opposé à la création d'espaces de liberté tarifaire, une mesure qui devrait faire l'objet de négociations lors des discussions conventionnelles.
Des déclarations qui ne sont pas unanimes. « Le ministre n'a pas les moyens de ses ambitions affichées, explique un autre syndicaliste. Il est clair que, si on lui a confié l'assurance-maladie, il ne détient pas pour autant les cordons de la bourse. Ceux-ci sont à Bercy et Matignon qui ne sont pas prêts de les desserrer. » Car s'il se confirme que le découvert de l'assurance-maladie frôle les 6 milliards d'euros en 2002, et si les perspectives pour 2003 sont aussi pessimistes que certains experts le disent, on voit mal le gouvernement rester sans réagir.
Jean-François Mattei a pris les devants peu après son arrivée au gouvernement. « Il est normal que les dépenses de santé augmentent », a-t-il expliqué. Un discours qu'ont bien entendu les syndicats de médecins libéraux. Mais qui n'a pas forcément reçu l'aval du ministre des Finances, qui, comme son prédécesseur, est très attentif à tout dérapage des dépenses, ne serait-ce que pour respecter les critères de la Commission européenne.
Dans ce contexte, la volonté du ministre de la Santé de porter, selon certaines rumeurs, le taux de l'Objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) à 5 % en 2003 (contre 3,8 % en 2002) - un objectif qui ne serait en aucun cas opposable, notamment aux médecins -, pourrait pourrait faire grimacer son homologue des Finances. L'arbitrage du Premier ministre est attendu avec impatience par les professionnels de santé. « C'est un PLFSS de transition. La méthode de fixation de l'ONDAM sera revue, en tenant compte davantage de critères médicaux », a déjà expliqué à ses interlocuteurs le ministre de la Santé, peut-être pour prévenir de fortes critiques.
Le problème de l'hôpital
Du côté des hospitaliers, si l'on ne veut pas encore déterrer la hache de guerre, on n'en demeure pas moins très vigilants, et l'on n'a pas oublié en particulier la promesse du candidat Chirac de consacrer 6 milliards d'euros en cinq ans à la modernisation des équipements et des bâtiments hospitaliers. A quoi s'ajoute le délicat chantier de la réduction du temps de travail, tant pour les personnels hospitaliers que pour les médecins. L'audit lancé par le gouvernement sur ce sujet sera prêt à la fin du mois. Et les hospitaliers seront à l'affût de décisions rapides.
Le ministre de la Santé et comme le Premier ministre ont maintes fois affirmé que l'hôpital restait la priorité majeure de leur politique de santé ; ils devront montrer, là aussi, leur bonne volonté. Notamment lorsqu'il s'agira d'annoncer, toujours dans le cadre du PLFSS, la dotation hospitalière pour 2003. La Fédération hospitalière de France (FHF, qui représente l'ensemble des hôpitaux publics) a demandé que cette dotation soit réévaluée de 6,1 %. Sera-t-elle entendue ? Le gouvernement peut difficilement satisfaire cette revendication, car il risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Et cela, il ne peut pas se le permettre.
Pris entre sa volonté de s'allier le monde la santé, d'assurer le calme dans les hôpitaux, et l'impératif du contrôle des comptes et des déficits, le gouvernement se retrouve sur une ligne de crête entre deux ravins. Alors que le temps des décisions approche, les professionnels de santé entendent bien que les promesses soient tenues et que les actes correspondent maintenant aux paroles. Ce qui ne sera pas simple.
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