Présenté avec tambours et trompettes pour prévenir les menaces liées à l'activisme d'éventuels groupes terroristes, le « plan national de réponse à une menace de variole », élaboré sous la responsabilité du Pr Jean-François Lacronique, alors M. Risque NBC (nucléaire, biologique et chimique) au sein de la direction générale de la Santé (DGS) (« le Quotidien » du 13 février), a des ratés.
Certes, l'équipe pluridisciplinaire d'intervention nationale qui comprend 150 intervenants (infectiologues, internistes, réanimateurs, pédiatres, infirmiers, aides-soignants, brancardiers, manipulateurs radio et personnels de laboratoire) devrait être constituée avant l'été. A ce jour, 67 volontaires sont vaccinés et une trentaine d'autres, dûment inscrits, devraient l'être dans la foulée.
Mais les choses se compliquent pour le deuxième niveau d'alerte programmé par le plan, un niveau déclenché par le gouvernement dès qu'une personne sera arrêtée, où que ce soit dans le monde, en possession d'échantillons du virus. Devrait alors s'ensuivre la vaccination d'une équipe hospitalière dédiée à l'intérieur de chacune des sept zones de défense, avec 150 vaccinateurs par équipe, soit un effectif total de 900 professionnels de santé.
Risques documentés
Aucun décompte national n'a encore été effectué pour ces volontaires qui se font enregistrer sur une liste avant de subir, le moment venu, la vaccination. Mais ils ne se bousculent pas au portillon. Au CHU de Rouen, en particulier, compétent pour la zone de défense du grand ouest, soit 20 départements, malgré le rappel battu par le service de vaccination, on ne totalise que 10 volontaires. Les professionnels considèrent que le jeu n'en vaut pas la chandelle et ils refusent, individuellement, de courir le risque.
Dans le courrier qu'ils ont adressé le mois dernier sur un mode pétitionnaire au Dr Dominique Peton-Klein, directeur du projet à la direction de l'Hospitalisation (DHOS), au ministère de la Santé, ces praticiens hospitaliers, parmi lesquels des infectiologues, des responsables du centre vaccinal et des médecins du travail, invoquent deux registres d'arguments. D'une part, ils s'interrogent sur la balance bénéfice-risque, alors que la vaccination expose à « des risques rarissimes, mais gravissimes, y compris létaux », des risques très bien documentés alors que le sont beaucoup moins les éléments d'évaluation des risques terroristes. Et les signataires d'appeler à leur rescousse des pays comme la Belgique qui ont choisi l'abstention vaccinale, ou des études officielles françaises, comme celle publiée en octobre 2001 par l'Institut de veille sanitaire, qui se prononçait contre la vaccination.
Les mesures d'accompagnement des vaccinations leur semblent, d'autre part, sujettes à caution : « Les premières informations du ministère faisaient état, observent-ils, d'un arrêt de travail de trois semaines pour les soignants, assorti de la nécessité d'éviter tout contact avec des sujets immunodéprimés », des précautions cruciales dans des services d'infectiologie. Or la DHOS est revenue sur ces précautions, l'arrêt de travail n'étant plus obligatoire, mais simplement recommandé.
Enfin, au chapitre pécuniaire, l'astreinte prévue dans le plan (les médecins doivent être mobilisables vingt-quatre heures sur vingt-quatre) n'est assortie d'aucune disposition financière.
« Tout cela ajouté, résume le Dr Jean-Philippe Leroy, du centre vaccinal, fait que les médecins ne sont pas disposés, en l'état, à courir le risque. »
« Ils n'en voient pas bien la nécessité, explique le Dr Jean-François Gehanno, médecin du travail qui, à ce titre, a reçu la dizaine de volontaires pour vérifier qu'ils ne présentaient pas de contre-indication, ni personnelle, ni dans leur entourage ; tant que le niveau de risque terroriste paraît faible, celui lié à la vaccination paraît disproportionné. Ou alors, il existe d'autres informations qu'on ne nous a pas communiquées. »
« En l'état du dossier, conclut le Pr François Caron, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Rouen, outre qu'il n'est pas anodin de vacciner des civils pour gérer un risque militaire et que la balance bénéfice-risque pour cette vaccination est infiniment moins favorable que pour les autres stratégies vaccinales, nous estimons que trop d'informations font encore défaut pour que les médecins s'engagent et s'inscrivent comme volontaires. »
A la DGS, où nous renvoient les responsables de la DHOS, les responsables de Biotox prennent acte de ces résistances hospitalières, jugeant que le foyer de contestation est circonscrit à Rouen. Ailleurs, assure-t-on Avenue de Ségur, les choses se passeraient plutôt bien.
La météo nationale du plan variole semble pourtant mitigée à perturbée : « Nous avons du mal à recruter, dit à « Libération » le Pr François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses à La Pitié-Salpêtrière, qui précise que les professionnels de santé ne se précipitent pas à Paris.
A Bordeaux, pas davantage, où 38 volontaires se sont enrôlés (sur les 150 nécessaires). « Nos difficultés de recrutement n'ont rien de surprenant, estime le Pr Michel Dupont, chef du service d'infectiologie au CHU , car les réponses fournies par le ministère à nos questions ne sont pas satisfaisantes. Nous rejoignons, comme la plupart des infectiologues en France, l'analyse de l'équipe du Pr Caron. Cela dit, le choix, pour chaque professionnel, est affaire de conscience. A chacun de réagir selon sa philosophie et son sens de l'altruisme. »
Sans enthousiasme
Pour sa part, le Pr Dupont a été vacciné et, trois semaines après l'inoculation, « sans enthousiasme aucun », il continue à porter un pansement en permanence, changé dans son unité après photographie des croûtes. Sans avoir suspendu ses activités de clinicien.
« Que les professionnels ne débordent pas de joie pour se faire vacciner, on veut bien le comprendre, note un des principaux concepteurs du plan, qui s'exprime sous le sceau de l'anonymat. Personne ne leur a jamais caché, souligne-t-il, que la vaccination contre la variole est dangereuse et que, en l'état actuel des choses, le rapport risque-bénéfice, si la menace n'est pas avérée, la rende tout à fait déconseillée, en particulier avec le risque de transmission à l'entourage des personnes vaccinées. Heureusement, pour l'heure, nous n'avons enregistré aucune complication avec les premiers volontaires. »
Aux Etats-Unis, 3 % d'effets secondaires
Trois cent cinquante mille militaires américains ont été vaccinés depuis décembre 2002 contre la variole. Les dernières données publiées* rapportent pour 3 % d'entre eux des effets secondaires (malaises, fièvres, nodules), qui sont généralement apparus dans les 36 heures suivant la vaccination. Vingt-cinq cas de vaccine généralisée ont été comptabilisés, mais aucune réaction sévère (eczéma vaccinal, vaccine progressive) n'a été déplorée.
En Israël, où 15 000 personnes ont été vaccinées, quatre cas d'effets secondaires lourds sont rapportés, dont deux qui concernent non des sujets vaccinés, mais leur entourage familial.
En France, sur 67 vaccinations effectuées, aucun effet indésirable n'est à signaler.
* www.smallpox.army.mil/media/pages/SPSafetySum.asp .
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