LES Drs JEAN-FRANÇOIS REY et Jean-Luc Jurin, respectivement président et premier vice-président de l'Umespe (branche spécialiste de la Csmf), cosignataires le 21 février d'une lettre ouverte à Ségolène Royal, sont accusés au minimum de «non-confraternité» par Espace Généraliste (EG). Face à ce qu'il considère comme une «agression» contre les médecins généralistes, le syndicat annonce qu'il porte plainte devant l'Ordre contre les deux principaux responsables de l'Umespe et «se réserve de saisir la juridiction appropriée pour diffamation».De quoi s'agit-il ? Dans leur lettre à Ségolène Royal, les Drs Rey et Jurin s'alarment du programme « santé » et de propos publics de la candidate socialiste qui, selon eux, font l'impasse sur la médecine spécialisée libérale de proximité représentée, par exemple, par «les pédiatres, les gynécologues médicaux et/ou les psychiatres libéraux».«Vous dites très explicitement que l'organisation des soins repose uniquement sur une médecine générale de proximité et sur l'hôpital»,peut-on lire dans cette missive. Ce «choix politique» est condamné par les deux médecins de l'Umespe qui font ensuite le lien avec certains risques en matière de santé publique. Faisant référence à une publication d '«Eco-Santé de l'Ocde», la lettre à Ségolène Royal affirme qu' «il s'avère à PIB constant que l'indice de mortalité infantile baisse de 5,4 pour 1000 lorsque les enfants sont suivis par des pédiatres par rapport à une prise en charge par des généralistes». Le cas de l'Angleterre, «où il n'existe pas de pédiatrie libérale», mais où le généraliste « gatekeeper » organise la filière de soins, est cité comme exemple à ne pas suivre. «L'indice de mortalité infantile y est de 5,3 pour 1000, très supérieur à la moyenne européenne qui est de 4,3 pour 1000 (…)», lit-on. «On peut faire la même démonstration pour la gynécologie médicale», ajoutent les auteurs de cette lettre. Les responsables de l'Umespe évoquent enfin certains effets négatifs pour la santé publique du dispositif du médecin traitant. «La mise en place du parcours de soins avec passage par le médecin généraliste a mis en évidence de façon certes hétérogène mais préoccupante des retards au diagnostic de mélanome et que dire des retards de diagnostic pour les psychoses maniaco-dépressives?» Aucune étude n'est citée ici.
Ligne jaune.
Pour Espace Généraliste, cette lettre accuse ni plus ni moins «à mots mal couverts» les médecins généralistes français «d'être responsables de la mortalité infantile, de ne pas savoir diagnostiquer les maladies mentales et de ne rien connaîtreà la médecine préventive». Un peu lourd. Pour le président de ce syndicat, Claude Bronner, la «ligne jaune» est franchie. «Je sais lire le français, ces propos sont intolérables. On venait d'avoir droit à une attaque sur le dépistage du mélanome par les généralistes (« le Quotidien » du 27 février) , ça suffit! Je pense que ça chatouille certains que les généralistes deviennent des spécialistes comme eux.»
Le Dr Jacques Marlein, secrétaire adjoint d'Espace Généraliste, affirme que «les rares études épidémiologiques qui ont comparé la qualité de la prise en charge par les médecins généralistes, les spécialistes et l'hôpital pour des pathologies de premier recours n'ont jamais été en défaveur de la médecine générale, qu'il s'agisse par exemple des diarrhées aiguës du nourrisson ou des MST chez les femmes». Du côté des deux auteurs de la lettre, on dément formellement avoir voulu discréditer ou « attaquer » la qualité des généralistes français. «J'ai alerté sur le danger d'une nouvelle organisation des soins en France qui ignorerait les spécialistes cliniciens libéraux, ce que semble vouloir faire MmeRoyal, explique Jean-François Rey. Il n'est pas question de mettre en cause la compétence des médecins de famille; la Csmf qui s'est battue pour la convention unique n'a aucune leçon à recevoir.» Il ajoute que «les citoyens partagent nos positions» en réclamant, à côté de la médecine générale, le maintien de l'accès à des spécialistes de cabinet, pédiatres, psychiatres, gynécologues ou dermatologues. Même riposte du Dr Jean-Luc Jurin, psychiatre et premier vice-président de l'Umespe. «Ce n'est pas parce que je valorise la compétence et l'expertise des spécialistes cliniciens que je dis que les généralistes sont mauvais. C'est l'organisation en filières qui est dangereuse. J'affirme que cela conduit des patients à consulter très tardivement, avec des situations plus lourdes, ou même pas du tout.» La polémique, qui renvoie à la place de chaque spécialité et à la politique de coordination des soins, n'est sans doute pas refermée.
> CYRILLE DUPUIS
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