DEPUIS LES ANNÉES 1980, même si des progrès incontestables ont pu être observés dans les formes débutantes de cancers du poumon grâce aux traitements combinés (chimiothérapie-chirurgie, chimiothérapie-radiothérapie), l’impact de ces progrès sur la survie globale est malheureusement resté réduit.
Le cancer du poumon demeure un cancer de très sombre pronostic, avec une survie moyenne inférieure à 15 % cinq ans après le diagnostic. C’est parce qu’il reste longtemps asymptomatique que la découverte de la tumeur au moment du diagnostic est souvent tardive et révèle des stades trop avancés pour permettre des traitements curatifs allongeant durablement la survie. On est donc devant une sorte de « verrou technologique », de « mur infranchissable », et les nouvelles techniques d’imagerie pourraient se révéler utiles pour détecter des stades précoces de ces tumeurs, qui bénéficient de traitements chirurgicaux associés à des survies très prolongées. L’expérience rapportée dans la littérature du pronostic des patients atteints de tumeurs de stade I, dont la survie dépasse souvent 80 % à cinq ans, justifie aujourd’hui l’espoir de disposer un jour d’un examen radiologique de dépistage précoce du cancer du poumon.
Améliorer la durée de la survie ne suffit pas à justifier l’intérêt d’un dépistage précoce.
Des embûches parsèment cependant le long et sinueux chemin des chercheurs sur la route des dépistages de nos cancers. Par exemple, on voudrait répondre, sans ambages, que l’on serait satisfait d’un examen de dépistage qui démontrerait une survie allongée de plus de dix ans chez les malades atteints de cancers, par rapport à un bras contrôle (sans dépistage). Mais l’histoire du dépistage du cancer du poumon par la radiographie thoracique, de laquelle ces chiffres apparemment prometteurs ont été tirés – auprès de 10 000 fumeurs suivis pendant vingt-quatre ans dans un essai randomisé organisé par la Mayo Clinic aux Etats-Unis – a montré qu’il ne fallait pas s’y fier (1).
En effet, chaque fois que l’on dépiste précocement un cancer, même si les traitements que l’on propose n’apportent aucun bénéfice au malade, on observe une survie au moins prolongée du délai d’anticipation du diagnostic par le dépistage. Pour pallier ce biais, il convient de comparer entre les groupes non pas les durées de survie des malades atteints de cancer du poumon, mais les taux de mortalité par cancer du poumon, qui, eux, n’ont aucune raison d’être influencés par le délai d’anticipation du diagnostic par le dépistage. Or, dans l’essai déjà ancien de la Mayo Clinic, les taux de mortalité par cancer du poumon étaient identiques dans les bras dépistés et les bras contrôles. La survie apparemment « prolongée » était donc imputable à ces délais d’anticipation du diagnostic par le dépistage, ainsi qu’à d’autres biais comme le surdiagnostic (le fait que l’on détecte des tumeurs qui n’évolueraient pas spontanément vers des tumeurs agressives).
Recourir aux modèles qui ont fonctionné dans le passé : la mammographie et l’Hémoccult.
L’évaluation du dépistage du cancer du poumon doit donc suivre la même logique que celle des autres cancers. Il convient de la soumettre aux mêmes impératifs de rigueur. Ne cédons pas aux sirènes des nouvelles technologies sans une évaluation préalable. Et prenons le temps qu’il faut pour bien la conduire : le mammographe existe depuis les années 1960, mais c’est en 2000 qu’il a été recommandé pour le dépistage systématique du cancer du sein chez la femme de plus de 50 ans. En 1963 avaient en effet été réalisés les premiers essais randomisés de qualité pour évaluer des stratégies de dépistage de masse du cancer du sein. En l’espace de vingt ans, pas moins de huit essais randomisés incluant plus de 500 000 femmes (figure 1) ont été nécessaires avant de conclure à l’intérêt du dépistage.
Pour l’Hémoccult, quatre Essais incluant près de 330 000 personnes ont été conduits avant de préconiser un dépistage de masse du cancer du côlon et du rectum (figure 2). Pour le cancer du poumon aussi, il faudra impérativement réaliser plusieurs essais randomisés de ce type, de très grande ampleur, sur de suffisamment longues périodes, pour savoir si le dépistage précoce du cancer du poumon par le scanner spiralé apporte un réel bénéfice en termes de diminution de la mortalité spécifique. Il faudra avoir montré en particulier que les risques de la prise en charge du grand nombre de sujets ayant des résultats faussement positifs n’obèrent pas les bénéfices attendus par le dépistage précoce. En France, Dépiscan (2), une première expérience (soutenue dès 2001 par le programme hospitalier de recherche clinique financé par le ministère de la Santé), que nous avons menée dans quatorze centres hospitaliers français auprès de 327 sujets, a conduit à détecter, avec le scanner spiralé, un nodule suspect chez 148 (45 %) fumeurs de plus de 50 ans, qui se sont avérés être des cancers chez 12 patients (dont 6 au stade I).
Un défi pour la santé publique et une ambition pour la France des dix prochaines années.
La France sera-t-elle présente dans ce débat de santé publique majeur du XXIe siècle, puisqu’il concerne le cancer le plus meurtrier de notre pays, avec 28 000 décès par an, et une nette tendance à l’augmentation des cas chez les femmes depuis vingt ans, qui n’est pas près de s’infléchir ?
La France saura-t-elle participer aux vastes essais randomisés qu’il est nécessaire de mettre en place en Europe (3) pour l’évaluation du dépistage du cancer du poumon aujourd’hui ? Les chercheurs du domaine, les cliniciens généralistes et spécialistes, les professionnels de santé publique et les sociétés savantes impliquées se sont préparés de façon unique depuis cinq ans – cela n’avait pas été le cas pour le dépistage du cancer du sein à l’époque – pour désormais répondre présents à cet appel. Si l’on décide de réaliser un vaste essai de méthodologie et de taille voisines du seul actuellement en cours, aux Etats-Unis (financé par l’institut national du cancer, avec 53 476 fumeurs et ex-fumeurs déjà inclus), il ne restera plus qu’à trouver les 200 millions d’euros qu’un tel essai coûterait sur une période de douze ans, soit 16,7 millions d’euros par an, l’équivalent d’une demi-journée de prélèvements par l’Etat de taxes sur le tabac, puisque l’Etat recueille chaque année auprès des fumeurs 10,5 milliards d’euros qu’il reverse massivement à la Cnamts.
Références:
(1) Marcus PM, Bergstralh EJ, Fagerstrom RM, Williams DE, Fontana R, Taylor WF, Prorok PC. Lung Cancer Mortality in the Mayo Lung Project : Impact of Extended Follow-Up. « J Natl Cancer Inst » 2000 Aug 16 ; 92 (16) : 1308-1316.
(2) Blanchon T, Lukasiewicz-Hajage E, Lemarie E, Milleron B, Brechot JM, Flahault A. Groupe Dépiscan. Dépiscan, un projet pilote pour évaluer le dépistage du cancer bronchopulmonaire par le scanner hélicoïdal à faible dose. « Rev Mal Respir », 2002 Dec ; 19 (6) : 701-705.
(3) Field JK, Brambilla C, Caporaso N, Flahault A, Henschke C, Herman J, Hirsch F, Lachmann P, Lam S, Maier S, Montuenga LM, Mulshine J, Murphy M, Pullen J, Spitz M, Tockman M, Tyndale R, Wistuba I, Youngson J. Consensus Statements from the Second International Lung Cancer Molecular Biomarkers Workshop : a European Strategy for Developing Lung Cancer Molecular Diagnostics in High Risk Populations. « Int J Oncol » 2002 Aug ; 21 (2) : 369-373.
Les signataires
Les signataires de l’article sont : Antoine Flahault (santé publique, Paris), Etienne Lemarié (pneumologie, Tours), Philippe Grenier (radiologie, Paris), Patricia Lefébure (médecine générale, La Celle-Saint-Cloud), Christian Brambilla (pneumologie, Grenoble), Jeanne-Marie Bréchot (pneumologie, Avicenne), Michel Setbon (sociologie, Aix-en-Provence), Bernard Milleron (pneumologie, Paris), Martine Rémy-Jardin (radiologie, Lille), Jean-Paul Moatti (économie de la santé, Marseille), Guy Frija (radiologie, Paris), Alain-Jacques Valleron (santé publique, Paris), pour le groupe Dépiscan (http://www.u707.jussieu.fr depiscan).
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