La santé en librairie
Qu'on se le dise : seul, le Pr Pierre Simon, qui a publié des volumes entiers, rédigé d'innombrables discours, n'aurait pu venir à bout de son autobiographie. Chose assez inhabituelle, c'est son « nègre » qui préface l'ouvrage, en plantant un étrange décor . Tout a l'air normal d'abord, sinon peut-être le nom du nègre, Pierre Lenoir, quand celui-ci conte ses échecs de romancier et ses succès de nègre, puis les échecs autobiographiques d'un client potentiel et la proposition que lui fait son éditeur d'intervenir auprès du client en panne. Que Pierre Lenoir poursuive en donnant au client, Pierre Simon bien sûr, 75 ans environ, une aphasie et une conversation par le biais d'un ordinateur à voix de vieille femme pourra susciter l'étonnement, surtout chez ceux qui connaissent un peu Pierre Simon.
Quoi qu'il en soit, Pierre Lenoir opte pour le style questions-réponses et commence par une question pas précisément « simple », comme le souligne son (pseudo ?) interlocuteur, Pierre Simon. Interrogé sur ses motivations quant à la rédaction de ses mémoires, ce dernier « lance dans le désordre » des raisons fantaisistes ou sérieuses, mais toutes exprimées de façon fantaisiste. Si le besoin de se « souvenir, de reconstruire », de « communiquer avec des gens » qu'(il) connaissait, parfois très proches, mais avec lesquels il avait « du mal à parler », fait partie des motivations invoquées, elles sont noyées avec bien d'autres dans une envie « physiologique » déterminante.
Ceux qui seraient avides de détails sur les origines familiales de Pierre Simon risquent d'être déçus, car le petit dernier de parents déjà âgés ne consacrera que peu de pages à un père pourtant prénommé Aimable, Bon, Marie, pourtant « barbu, bedonnant, presque énorme », pourtant médecin de campagne à l'ancienne, à une mère tôt disparue, à des frères et sur qui l'ont peu encombré de souvenirs. En revanche, sa mémoire d'enfant « a retenu beaucoup d'histoires de caca et d'épisodes chiottesques », ce qui laissera des traces décelables tout au long du livre, aimablement émaillé d'anecdotes scatologiques fort bien présentées. L'affaire de l'enfance est vite close, guerre sans relief et école inintéressante comprises.
Si bien que, au bout de 32 pages, le lecteur se retrouve à l'université, celle de pharmacie et non de médecine : « Je n'avais aucune envie que des comparaisons s'établissent », avec un père et deux frères médecins.
De l'officine à l'hôpital
Entre bruit mélodieux de tiroir-caisse et « plaisir d'écouter les autres », le lecteur assiste à l'éveil d'une vocation de pharmacien d'officine rapidement résolutive sous l'effet d'une entrevue avec « le pharmacien de l'hôpital de Caen », Monsieur Feutry. Celui-ci prend le jeune homme sous son aile et le lance dans le travail, dans le monde pharmaceutique et médical caennais d'abord, puis parisien ensuite.
Les lecteurs auront tout loisir de découvrir avec l'auteur et son intervieweur les salles de garde, les patrons détestables et merveilleux, la délicate organisation de l'interne en pharmacie-enseignant-étudiant en médecine-chercheur-étudiant en sciences-amateur de fêtes, le coup de foudre rapidement suivi de mariage et de naissance...
Jusqu'ici, les règles de l'autobiographie semblent à peu près respectées, avec prédominance pleine de discrétion - et de réalisme - pour la vie laborieuse, permanence du ton léger et guilleret et d'une autodérision pleine de sel. Mais au fur et à mesure que Pierre Simon avance en âge et en responsabilités de tous ordres jusqu'à devenir le professeur de pharmacologie bien connu, le livre devient de plus en plus foisonnant et l'autobiographie s'agrémente ici d'un conte de Noël loufoque dont le héros est un canard, là de l'histoire drôle préférée de l'auteur, ou encore d'un canular de 1er avril pour la revue « Prescrire », d'une nouvelle de science-fiction tous deux imaginés par notre professeur de pharmacologie.
Tandis que ses enfants grandissent et que la pharmacologie du Pr Pierre Simon se développe à l'hôpital et à la faculté, le lecteur arrive à la page 70 et à un changement majeur : le pharmacologue abandonne hôpital et faculté pour l'industrie pharmaceutique. Celle-ci mérite cent pages de rencontres et de développements complexes sur les arcanes de la pharmacologie moderne, guère davantage qu'une retraite choisie plutôt précoce, riche en écrits et en petits-enfants. Passons sur un prix Nobel pour le moins inattendu, sur la disparition des questions du nègre en fin d'ouvrage, sur l'aphasie mystérieuse qui s'envole à la dernière page des confidences du pharmacologue, et laissons le lecteur choisir dans ce gros volume sa pâture personnelle, parmi les informations sur la pharmacologie actuelle, les épisodes variés d'une vie plutôt passionnante et les produits d'imagination.
« Les deux pieds, les deux mains dans le médicament », Pierre Simon, Publibook (18, rue du Faubourg-du-Temple, 75011 Paris, tél. 01.47.00.05.07), 435 pages, 180 F (27,44 euros).
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