C 'EST le Dr Bernard Accoyer, député (RPR) de Haute-Savoie qui, le premier, avait alerté médias et autorités de santé publique sur la prolifération des officines de piercing. De plus en plus de jeunes viennent s'y faire percer les oreilles, la langue, les narines, les lèvres, les seins, le prépuce ou le clitoris, sans qu'aucune réglementation ne s'applique à toutes ces effractions effectuées à l'aide d'aiguilles ou de cathéters, par incision ou perforation de la barrière, naturelle cutanée ou des muqueuses (« le Quotidien » du 15 octobre 1999).
Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF), saisi dans la foulée par Dominique Gillot, alors secrétaire d'Etat à la Santé, avait rendu un rapport* qui concluait à la recommandation, pour les « personnes réalisant ces actes ou s'y soumettant, de veiller à la mise en uvre des précautions standards de désinfection, de stérilisation, ainsi que de l'utilisation de matériel à usage unique ».
Dans le même temps, le directeur général de la Santé, le Pr Lucien Abenhaïm, en lançant la campagne nationale de lutte contre l'hépatite C, avait mis spécialement en garde sur « les risques du tatouage et du piercing ».
Infections bactériennes et virales
Aujourd'hui, la mise en garde prend la forme détaillée et pédagogique d'un guide technique à l'usage des professionnels du piercing. Un guide élaboré par le Groupe français et de recherche sur le piercing qui, pendant près d'un an, a réuni régulièrement à l'hôpital Rothschild, à Paris, professionnels de santé et du piercing, sous la houlette du Dr Jean-Baptiste Guiard-Schmid, membre de l'équipe du Pr Willy Rozenbaum (service des maladies infectieuses).
En l'absence de données épidémiologiques définitives que l'Institut de Veille sanitaire devrait publier « ultérieurement », il semble, écrivent les auteurs, que les infections les plus courantes sont dues à des bactéries qui se développent à partir du site de l'intervention. De 10 à 30 % des actes de piercing y donneraient lieu, qui mettent surtout en jeu streptocoques et staphylocoques, parfois des Pseudomonas. En ce qui concerne les infections virales, la possibilité d'une contamination par le VHB et le VHC semble « solidement établie ». Pour le VIH, le doute persiste. « Cependant, ce dernier risque est parfaitement établi pour des situations très proches de celles du piercing : celle des accidents d'exposition au sang des professionnels de santé par piqûre avec une aiguille souillée. Dans ce cas, on sait que le risque de contamination par le VIH existe, qu'il est relativement faible (moins de 3 cas pour mille) et qu'il est beaucoup plus élevé pour le VHB (de 20 à 30 %) et pour le VHC (de 3 à 10 %). » Signalées en outre, des infections comme les virus herpès ou le papillomavirus.
Des contre-indications médicales
Le guide insiste sur les contre-indications médicales au piercing. Tous les sujets souffrants d'atteintes du système immunitaire (SIDA, diabète, cancers, maladies du sang, certaines maladies génétiques) sont concernées. De même sont mis en garde les patients traités avec des corticoïdes ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens, ceux qui souffrent de maladies chroniques de la peau (eczéma) fragilisant le revêtement cutané, et d'infections dentaires, de la bouche ou de la gorge (piercings de la langue, de la bouche et des joues), des parties génitales (piercings du clitoris, du prépuce, etc.). Attention aussi aux allergiques : des réactions aux métaux des bijoux implantés ou aux produits utilisés pour les soins après le geste sont rapportées.
Après ces avertissements, le guide passe en revue les règles d'hygiène universelles, pour le local et le matériel. Il recommande, chaque fois que c'est possible, le recours à du matériel à usage unique vendu stérile par le fabricant. A défaut, la stérilisation entre chaque utilisation s'impose ; elle doit être effectuée par la vapeur à 134 degrés pendant 18 minutes pour éliminer le risque liés aux prions. De même que sont indispensables le lavage et la désinfection des mains, le port des gants (ceci ne dispensant pas de cela). Suivent des préconisations assorties de plans et schémas sur la configuration du cabinet du parfait perceur (lavabo avec robinet, divan d'examen, plan de travail contaminé, plan de travail propre, poubelle, sol, plinthes à gorge...).
Le Dr Guiard-Schmid insiste sur le développement en France d' « une meilleure connaissance des pratiques du piercing parmi les professionnels de santé (généralistes, spécialistes, dermatologues et infectiologues, urgentistes). Cela nécessite, estime-t-il, une large informations de ces professionnels sur le piercing, ses techniques, ses complications éventuelles et les mesures à prendre pour les traiter. Les pouvoirs publics sont en mesure de susciter et de renforcer cette information, en incitant (ces professionnels de santé) à s'intéresser à ce domaine, au moins en termes de santé publique ».
Le temps de cicatrisation
S'agissant de la cicatrisation, une réaction inflammatoire (rougeur et parfois gonflement) dans les jours qui suivent l'acte est considérée comme normale. Ces symptômes doivent disparaître en moins d'une semaine.
La cicatrisation définitive varie de quelques semaines à quelques mois. Celle du lobe de l'oreille prend moins de quatre semaines, la langue de 3 à 6 semaines. Le piercing des cartilages de l'oreille ou du nez cicatrise en 6 à 12 semaines environ, les mamelons en 2 à 6 mois, comme les piercings génitaux. La cicatrisation du nombril est en général plus longue, souvent retardée par le frottement des vêtements, qui favorisent les infections locales et peuvent prendre souvent de 6 à 12 mois.
Rationalisation et sécurisation
Pour les accidents par exposition au sang, très fréquents bien qu'ils soient évitables, le guide répertorie les mesures générales selon les risques : immunoglobulines spécifiques et vaccin contre l'hépatite B, prélèvements sanguins répétés pendant six mois pour surveiller l'éventuelle apparition d'une infection par l'hépatite C, prescription d'une trithérapie administrée le plus tôt possible après l'exposition (idéalement en moins de trois heures) pendant une durée totale de 30 jours contre le risque de contamination par le VIH.
Concernant les risques liés à la manipulation de produits détergents, désinfectants, décontaminants et antiseptiques, le port de gants est souhaitable.
L'ensemble de ces mesures pourra paraître parfois très exigeant eu égard aux pratiques qui ont actuellement cours parmi les perceurs. Mais les rédacteurs estiment que leur profession ne saurait faire l'économie de la démarche de rationalisation et de sécurisation qu'ils préconisent. Pour autant, la publication de ce guide par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) exonère-t-elle d'une réglementation qu'édicteraient à l'avenir les autorités de santé publique, en soumettant l'exercice du piercing à une habilitation en bonne et due forme, ainsi que pour toute profession paramédicale ? Et la logique réglementaire peut-elle s'appliquer à une pratique par nature marginale, sinon socialement rebelle ?
* Avis préliminaire du 30 juin 2000.
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