LE LIVRE OFFRE un titre amusant, une couverture un peu BD, et nous met du côté du sujet qui doit décider, mais le titre anglais parle de « Hidden Forces that Shape our Decisions », autrement dit on nous fait assister à une manipulation par des forces cachées qui mettent en forme le produit à vendre. Le point de vue est donc double.
Voici trois téléviseurs en rayon, lequel prenez-vous ?
Panasonic, écran 36 pouces, 690 euros ; Toshiba, écran 42 pouces, 850 euros ; Philips, écran 50 pouces, 1 480 euros.
Très souvent le client a du mal à estimer la valeur de certains produits et de leurs options. Mais beaucoup de consommateurs hésitants pensent raisonnable d'acheter le produit intermédiaire. C'est ce produit que le vendeur placera justement en position intermédiaire !
Vous voulez acheter une maison dans une ville et un agent immobilier vous en présente trois, de valeur à peu près équivalente : deux sont de style XVIIIe, la troisième de style contemporain. Simplement, la toiture de l'une des maisons XVIIIe est à refaire.
Tout porte à croire que vous choisirez la maison XVIIIe en parfait état. Intervient ici le goût qu'a l'homme pour la possibilité d'effectuer des comparaisons, en fait c'est la relativité qui va servir à la fois de norme et de piège. Piège car la maison XVIIIe abîmée sert de leurre. C'est pour cela que le malicieux Don Ariély conseille au dragueur d'aller dans les soirées avec un(e) ami(e) ayant les mêmes caractéristiques que vous, mais en moins craquant…
Tout consommateur ressemble à un pilote qui doit atterrir dans la nuit, s'il peut apercevoir une loupiote il va s'y accrocher. Peut-être est-il déjà fidélisé par sa modeste chaîne new-yorkaise de café. Mais voici qu'on fait la queue là-bas pour des cafés plus chicos : jolies tasses, odeur venant flatter ses narines, douze variétés avec des noms qui chantent, le « frapuccino » ! Le voilà qui suit le troupeau (« Herding »), bien que le prix de la tasse ait doublé par rapport à son produit précédent. Il a même décidé d'être le premier de la file, il s'ancre (self-herding) lui-même.
Autopersuasion et autosuggestion.
Le zoologiste Konrad Lorenz découvrit qu'en l'absence de leur mère les oisons s'attachent à un autre « objet », en l'occurrence lui-même. Il nomma « empreinte » ce phénomène naturel. En « behavioral economics », on se pose un problème analogue, comment fixer un prix au départ pour l'objet qui doit attirer le chaland ? (À noter que Dan Ariély nous fait sans cesse passer alternativement tantôt du côté des piégés, tantôt des piégeurs).
Le diamantaire italien James Assael, souhaitant vendre des perles grises d'un intérêt moyen, accrocha leur prix aux diamants, rubis et émeraudes, y ajouta une campagne publicitaire vantant le chic et la classe conférés par son produit et fit fortune. Bon ancrage, mais risqué…
D'autres expériences mesurent le fait que les consommateurs ont tendance à éprouver ce qu'ils attendent, à s'autopersuader.
Lors d'un test, des étudiants doivent savourer successivement deux sortes de bière. La seconde de ces bières est « aromatisée » au vinaigre balsamique et assez souvent préférée, les cobayes étant dans l'ignorance de cette modification. Mais, mis au courant avant, l'énorme majorité trempe à peine les lèvres dans la mousse vinaigrée. On sent ce qu'on s'attend à sentir, nos attentes modifient notre perception et notre appréciation d'une expérience.
Cette capacité à ressentir en fonction d'une consigne externe, mais surtout à s'autosuggestionner n'est jamais aussi forte que dans l'usage des placebos.
En 1785, le « New Medical Dictionnary » mentionne pour la première fois ce mot dans le cadre de pratiques médicales marginales.
En 1794, un médecin italien nommé Gerbi fait disparaître des douleurs dentaires en les frottant avec un ver… « Remèdes » efficaces donc, dans la mesure où les gens y croient. Mais, surtout, Dan Ariély montre l'influence exercée par le coût élevé d'un traitement dans la médecine actuelle, plus c'est cher et plus le malade semble soulagé. Les exemples foisonnent qui peuvent irriter les lecteurs de ce journal. Mais cela se passe aux États-Unis…
Curieusement, ce livre est construit sur une amusante contradiction : nos choix sont irrationnels et en même temps prévisibles et machiavéliquement organisés par les tireurs de ficelles. Quand même, on est peu de choses…
* Titulaire d'une chaire d'économie comportementale au MIT à Cambridge (Massachusetts, États-Unis).
Dan Ariély : « C'est (vraiment ?) moi qui décide », Flammarion, 20 euros, 290 pages.
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