Arts
« L'uvre qu'on fait est une manière de tenir son journal », disait Pablo Picasso, qui, durant toute sa vie tourna, froissa, déplia et plia des pages de journaux, de revues, de manuscrits... A 13 ans, il commençait déjà à créer de petits journaux humoristiques, et l'on connaît par cur la légende des crayonnages qu'il s'amusait à tracer sur les nappes en papier des cafés qu'il fréquentait. La feuille, la rame, la page, l'encart, le plus petit et vulgaire imprimé retenaient son attention et arrêtaient son regard infatigable de faiseur d'images.
L'exposition de l'hôtel Salé est foisonnante. Dès 1891, Picasso se sert de ses lectures quotidiennes comme supports pour réaliser des études. Un jour de décembre 1906, il s'empare de l'édition du « Matin », en déchire un morceau et y réalise des autoportraits. Magistral. Ici, il crayonne le portrait d'Alejandro Riera dans un numéro du « Journal » de 1902 ; là, c'est un visage de femme et des nus, sur une page du « Journal des chrétiens » en 1905, ou une tête cubiste sur un article du « Vieux Marcheur » en 1907. L'imprimé gagne avec lui une seconde vie. Lorsqu'il relit « Madame Bovary », Picasso ne peut s'empêcher d'illustrer un passage de l'uvre, à même le livre, de sa plume. Assis au Grand Café de Céret, il demande du papier à en-tête et réalise une série de bustes de Cérétanes. Un dépliant pour l'édition française de la revue flamande « Onze Kunst » lui servira de toile pour camper un singe à la pipe, des personnages à la fleur et des pyramides.
La révolution des papiers
Ce recyclage obsessionnel a une valeur historique, anecdotique, autant qu'esthétique. Tantôt Picasso utilise le papier journal sans s'intéresser au contenu, tantôt il commente à sa façon l'information au hasard des articles et des événements, tantôt il conserve pour son intérêt personnel un numéro du journal qui l'a marqué. C'est ainsi que l'on découvrira l'éditorial de « Paris-Soir » du 15 août 1933 consacré à l'envoi par Roosevelt de vaisseaux de guerre à Cuba, ou des coupures de presse sur l'épisode de Guernica, ou encore un exemplaire des « Lettres Françaises » de 1953 sur la mort de Staline.
Et puis, survient la « Révolution des papiers collés ». Picasso découpe, englue et agence des papiers de couleur, des papiers peints, des morceaux de carton, des étiquettes, des partitions de musique, des imprimés publicitaires, des fragments de toile, de ficelle et de bois, pour réaliser ses compositions cubistes, épurées et géométriques.
Le papier, Picasso l'utilise également pour ses poèmes manuscrits ou dactylographiés. Toutes sortes de papiers, là encore, parfois altérés, usés, récupérés. Sur l'un de ces supports de fortune, on lit ce joli aphorisme : « Il faut vraiment avoir la trouille pour avoir peur d'une colombe » (1950).
L'éclectisme du papivore est sans limite : il découpe des têtes de mort à même un périodique, il photographie des installations de papiers collés dans son atelier du boulevard Raspail, il mélange ses couleurs sur un exemplaire du « Monde » ou de « Marianne » en guise de palette, il manipule des photos d'ouvrières dans une revue et en fait des gueules cassées cubistes, en les retouchant.
Il s'amuse. Il excelle. C'est Picasso, plus que jamais dans le génie de la liberté.
« Picasso, papiers journaux ». Musée national Picasso. 5, rue de Thorigny, Paris 3e. Tlj sauf le mardi, de 9 h 30 à 18 h. Entrée 5,50 euros. TR 4 euros. Jusqu'au 30 juin. Catalogue par Anne Baldassari, Ed. Tallandier, 240 pages, 32 euros.
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