ARTS
Avec Marcel Duchamp, son ami de toujours, et Man Ray, autre épigone du mouvement Dada, Picabia est l'un des destructeurs de la tradition picturale et l'un de ceux sur qui repose le passage de la peinture de chevalet à des machines à décerveler que l'on fait passer pour de l'art. Le sont-elles ?
L'occasion nous est donnée de nous interroger alors que le musée d'art moderne de la ville de Paris consacre à l'artiste une exposition que l'on aurait vue plus à sa place au Centre Beauboug.
Utile cependant elle l'est, comme toujours, lorsqu'on veut faire le point sur un parcours, et parce qu'elle donne matière à réflexion pour des générations qui vivent sans le savoir la conséquence de ce qu'il fut, inventa, fit passer au nom de l'art dans l'espace du musée.
Plus que Duchamp cependant il reste peintre. C'est plus dans la manière de considérer la peinture, d'en faire usage, qu'il se distingue de ses contemporains et cultive une certaine désinvolture qui est celle du désespoir.
Il est nourri de Nietzsche et pour lui le « Gai Savoir » est une sorte de Bible. La recherche de se surpasser passe pourtant, chez lui, par la dérision, l'insolence, le défi. Elle s'inscrit parfaitement dans le mouvement Dada dont Picabia sera l'un des artisans et une sorte d'ambassadeur, faisant le lien entre Tristan Tzara et André Breton, retrouvant Duchamp à New York pour « l'Armory Show », qui fut la première grande manifestation consacrée à l'art vivant au début du siècle.
Un homme comblé et torturé
Il débute dans la peinture par l'impressionnisme et y rencontre un succès commercial. Mais, par la suite, il traverse tous les mouvements, voire les annonce (cubisme, abstraction, surréalisme) sans jamais à aucun d'eux s'attacher durablement. Il est une sorte de météore, brillant, facétieux, provocateur, une sorte de dandy, l'homme « couvert de femme » qu'évoquait Drieu la Rochelle. Fortuné, salonnard et dans le même temps frôlant la démence mentale, fréquentant les cliniques psychiatriques, écrivant avec acharnement et parfois un certain bonheur d'expression.
Familier de tous ses contemporains, aussi bien Eric Satie que Fernand Léger, Picasso que Blaise Cendrars, Apollinaire que Darius Milhaud ou Jean Cocteau, figure emblématique de l'avant-garde, et du « Buf sur le toit », le point de ralliement de tous les esprits échauffés de l'heure.
Le peintre suit les humeurs d'un homme comblé, d'un homme torturé, dans les paradoxes d'une grande liberté de ton et de vie. Son uvre déconcerte, irrite, étonne, amuse, fracasse tous les préjugés, dont ceux du bon goût. Sa signature est plus un coup de poing dans l'il, un signe étrange et délicieux tout à la fois, qui illustre la crise de l'art qu'il vit plus lucidement que bien de ses contemporains. Chacun peut y voir une leçon de vérité, un exemple de vitalité intellectuelle, mais aussi craindre qu'au delà d'une telle aventure, l'exemple ne soit pas pernicieux.
Picabia, c'est « l'homme pressé » qu'avait rendu emblématique la prose étincelante de Paul Morand. Picabia est de cette famille des modernistes fortement engagés dans la frénésie des années folles, et l'illustrant tant par son dédain des conventions que ce sentiment de débandade générale de la culture à laquelle il apportait une contribution restée juvénile jusqu'à la fin de sa vie, servant alors de référence aux théoriciens des avant-gardes qui pullulent après la Libération. On le ressortait de son placard historique pour exhiber ses farces et attrapes. Le jeu est aujourd'hui éventé.
La respectabilité du musée enrobe toute uvre qui y est présentée d'une aura historique. Picabia reste une page d'histoire qu'il est plaisant de feuilleter. A condition de ne pas s'y attarder.
Musée d'art moderne de la ville de Paris. Jusqu'au 16 mars 2003.
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