«S OUPÇONS sur les comprimés anti-rhume », « La France surveille, mais garde ses anti-rhume », « Les médicaments anti-rhume sous surveillance ». Sous ces titres, « le Figaro » d'abord, « Libération » ensuite, puis « le JDD » ont, la semaine dernière, posé la même question obstinée : « Combien de temps les médicaments à base de phénylpropanolamine seront-ils encore autorisés à la vente hors prescription dans les officines françaises ? »
Une question qui n'est pas réellement nouvelle, mais qui se pose avec plus d'acuité encore depuis que les autorités américaines ont décidé de retirer tous les produits - anorexigènes et anti-rhume - contenant la fameuse PPA.
Cette décision, prise par la FDA en novembre 2000, est arrivée au terme d'une série de plusieurs études engagées depuis 1990. Mais celle qui a finalement tout déclenché est une étude cas témoins, menée par des chercheurs de l'université de Yale sur 2 078 personnes, qui avait pour objectif d'examiner la corrélation qu'il pouvait y avoir entre le fait de consommer un médicament à base de PPA et la survenue d'accidents vasculaires.
Un risque vasculaire multiplié par 1,23
Ses résultats, publiés en décembre 2000 dans « The New England Journal of Medicine », montrent que si ce risque semble faible, il est toutefois multiplié par 1,49 lorsque la PPA est contenue dans un anorexigène, et par 1,23 lorsqu'elle est contenue dans un décongestionnant (voir encadré).
En France, la PPA n'est pas commercialisée dans l'indication « coupe-faim », ni en tant que spécialité, ni, depuis une décision de l'AFSSAPS du 15 février dernier, sous la forme de préparation magistrale. Reste que huit spécialités libres de prescription et destinées au « traitement symptomatique de la congestion et de l'hypersécrétion nasale » sont encore sur le marché. Actifed Jour & Nuit, Dénoral (comprimés), Humex Fournier (gélules), Rhinofeb, Rinurel, Rinutan, Rupton et Triaminic sont donc aujourd'hui sur la sellette. Avec des teneurs en PPA variant de 22 à 100 mg par unité de prise, certaines de ces spécialités sont commercialisées depuis presque trente ans.
Pour l'AFSSAPS, qui a dès novembre 2000 examiné le problème, il n'y a pas lieu pour l'heure, au vu des dossiers de pharmacovigilance, de retirer les produits contre le rhume à base de PPA. A cet égard, son directeur, Philippe Duneton, souligne que « cette molécule (la PPA) est aussi utilisée outre-Atlantique comme coupe-faim. Et c'est là que le risque d'hémorragie cérébrale est surtout sensible ». A la suite à la décision américaine, l'Agence française s'est donc contentée de rappeler certaines recommandations qui concernent ces médicaments, en demandant notamment de bien respecter les posologies et les durées de traitement et d'éviter leur usage en cas d'hypertension ou d'antécédents de convulsions.
Les réactions des laboratoires
Interrogée par « le Quotidien », Carmen Krefts-Jaïs, directrice de la commission de pharmacovigilance à l'AFSSAPS, explique que, s'il n'y a pas aujourd'hui de décision urgente à prendre, la réévaluation en cours menée par ses services rendra ses conclusions définitives en juillet prochain. « Une réévaluation du dossier qui consiste essentiellement à réexaminer la validité de l'étude de Yale et à refaire le point sur les notifications de la pharmacovigilance », précise-t-elle. « Alors, trois scénarios seront possibles :soit, au vu des résultats, il n'y aura pas lieu de bouger ; soit on fera passer ces médicaments sur liste, ce qui permettra au moins d'éliminer les populations à plus haut risque ; soit, enfin, le risque sera démontré, notamment chez la femme, et il y aura lieu de suspendre purement et simplement les AMM. »
Réactions diverses des laboratoires
Pour l'heure, la décision américaine a provoqué dans les états-majors des laboratoires concernés des réactions assez diverses. Bristol-Myers Squibb a pris la décision de retirer la seule référence contenant de la PPA (Fervex Rhume gélules) dès novembre 2000. Même décision chez Théraplix (groupe Aventis), où l'on a plus récemment décidé l'arrêt de commercialisation de la spécialité Dénoral comprimés (le retrait sera effectif dans les prochaines semaines). Gérard Bigolet, pharmacien réglementaire du laboratoire, tient toutefois à préciser que cette décision a été prise « alors même que les données scientifiques disponibles ne montrent pas de façon statistiquement significative l'existence d'un risque d'accident vasculaire cérébral pour les décongestionnants ».
Au contraire, chez Urgo et Pfizer-Warner-Lambert, on a choisi une option plus attentiste. « Nous nous en tenons aux recommandations de l'AFSSAPS » , déclare Michel Fasné, directeur général France des Laboratoires URGO (Humex Fournier gélules) qui expose une argumentation en deux points : « D'une part, la PPA a été incriminée aux Etats-Unis pour son utilisation comme "coupe-faim" à des doses bien supérieures (de 500 mg à 1 g par jour, NDLR) et pour des durées de traitement bien plus importantes que celles pratiquées lors de la prise en charge symptomatique du rhume ; d'autre part, Humex Fournier gélules est commercialisée depuis vingt-neuf ans sans qu'aucun risque n'ait jamais été mis en évidence. » Et de souligner un possible effet pervers déjà évoqué par l'AFSSAPS : « Si l'on interdit ces produits, les prescriptions se porteront sur d'autres médicaments (les vasoconstricteurs locaux, NDLR) qui ne sont pas non plus dénués d'effets secondaires. »
Quant au groupe Pfizer-Warner-Lambert, qui continue de commercialiser Actifed Jour & Nuit, Rinurel et Rinutan, il déclare attendre sereinement la décision à venir.
En 2000, 20 millions d'unités d'anti-rhume per os ont été vendues dans les officines françaises.
Une étude méthodologiquement contestable
« L'étude menée par l'université de Yale est bourrée de biais méthodologiques,s'indigne Marc Girard, expert en pharmacovigilance auprès des tribunaux, qui a contribué au « dossier PPA » examiné en novembre 2000 par l'AFSSAPS. Et de citer quelques-uns de ces biais : « L'étude comporte un biais sur le sex ratio, hors le facteur sexe important, un biais concernant la répartition des classes socioprofessionnelles, un biais protopathique (le signe d'appel d'un accident cérébrovasculaire, la céphalée, est parfois le signe d'appel d'un simple rhume, NDLR) , de plus, on n'a pas interrogé les cas et les témoins aux mêmes endroits, les uns à l'hôpital, les autres à domicile ; les intervieweurs connaissaient l'objectif de l'enquête ; enfin, les personnes étaient payées pour répondre. Au total, presque tous les défauts possibles d'une étude cas-témoins étaient réunis. »
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